La chauve-souris dit au lézard : « Jusqu’à quand regarderas-tu le soleil ? Ferme donc les yeux.
A force de fixer ce corps éblouissant, pourquoi rendre obscur à ta vue le monde entier ?
Qu’ont donc trouvé tes yeux, si ce n’est des ténèbres, dans ces rayons qui blessent l’œil comme des lancettes de diamant ?
Qu’y as-tu vu, pour en avoir ainsi perdu la patience, pour t’agiter à cause de lui comme un poisson hors de l’eau ?
Ta place est dans la vallée, la sienne est aux cieux ; va, lâche prise et abandonne cette poursuite.
Imite le papillon de nuit, et fais choix d’un ami qui, du moins, te permette quelquefois de l’approcher.
Je ne sais quel avantage tu retires de cette vaine passion, pareille à celle du nénuphar . »
Le lézard répondit : « Hélas, hélas ! tu as la vue courte ; tu ne vois que les pieds du paon, et moi j’en vois le plumage.
Toi qui ne connais que les nuits ténébreuses, comment concevrais-tu la splendeur de ce luminaire céleste 1 ?
Si tu en percevais la moindre lueur, par le trou d’une aiguille, tu voudrais, comme moi, y attacher une centaine d’yeux.
Contente-toi de scruter les ombres de la nuit noire; tu n’as pas les moyens de mesurer cette lumière.
Il ne convient point de peser le camphre (1) dans la balance qui sert à débiter le charbon.
Il me suffit, pour tout profit de ma flamme, d’être amoureux du soleil.
Pourrais-je demander au siècle une fortune plus enviable que de voir mon nom durer aussi longtemps que le soleil ? »
- VÈHCHI, Fèrhâd-ou-Chirîn, La Chauve-Souris et le Lézard.
1. «A votre avis, Théotime, qui aimerait plus la lumière, ou l’aveugle-né qui saurait tous les discours que les philosophes en font, et toutes les louanges qu’ils lui donnent, ou le laboureur qui d’une vue bien faite sent et ressent l’agréable splendeur du beau soleil levant ?»
Saint François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, liv. VI, ch. IV.