Pendant les plus belles saisons,
La Cigale mal avisée,
Ne s’étoit toujours amusée
Qu’à des courses et des chansons.
L’Hyver nous ramenant la bise,
La neige, ainsi que les glaçons,
Elle reconnut sa sottise ;
Et faute de provision,
Mourante d’inanition,
Elle alla crier misere
Chez la Fourmi sa commere,
Qui ne demeuroit pas bien loin ;
Et l’apercevant dans un coin ;
Hélas ! lui dit-elle, ma chère,
Je suis dans le plus grand besoin ;
Si vous nagez dans l’abondance ,
De grâce, ayez la complaisance
De me prêter un peu de grain ;
Je fais serment de vous le rendre
Avec usure, à l’Août prochain,
La Fourmi n’a pas le cœur tendre,
Et ne peut voir les pauvres gens,
Sans devenir impérieuse.
A quoi passiez-vous votre temps
Quand je m’occupois dans les champs ?
Demanda-t-elle à l’Emprunteuse ;
Nuit & jour, répond l’autre, alerte & fort joyeuse,
Je ne faisois alors que courir & chanter,
Sans appréhender la famine.
Que courir & chanter ! repartit la voisine,
Et vous osez vous en vanter ?
Allez, importune vermine,
Allez vous-en d’ici, je n’ai rien à prêter.
Combien de gens, dans l’infirme vieillesse
Ont essuyé la même dureté,
Pour avoir passé leur jeunesse
Dans une lâche oisiveté ?
Il faut songer au nécessaire,
Gagner des fonds, se bien vêtir ;
Ensuite, on peut se divertir,
Si l’on n’a rien de mieux à faire.
La Cigale et la Fourmi, de La Fontaine
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’Août, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse :
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ? »
Dit-elle à cette emprunteuse.
« Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise. »
« Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant. »