Un aigle, roi des monts qui bordent l’Helvétie,
Avait dans ses États quelques séditieux,
Fort agaçants, fort ennuyeux,
Experts en médisance, et même en calomnie,
Une orfraie, un autour couple d’ambitieux,
Un faucon tapageur, une méchante pie,
Qui se faisait l’écho de tous ces factieux.
Si de son bec et de ses serres,
Mon aigle eût voulu se servir.
Avec ces faibles adversaires,
En deux ou trois combats il pouvait en finir. .
Mais il était de ces rois débonnaires,
Qui perdent tout souvent pour ne savoir punir.
Il aima mieux les gagner, les séduire,
Les allécher par des cadeaux ;
Fit chasser pour eux et détruire
Des masses de pigeons, de lièvres, de perdreaux.
L’orfraie eut du poisson, la pie eut abondance
De fruits, d’insectes, de moineaux.
L’aigle eut ainsi raison de leur impertinence,
Si bien que gorgés et repus.
Satisfaits que l’État pourvût à leur bien-être,
Les frondeurs séduits ou vendus,
Célébrèrent en chœur la gloire de leur maître.
Mais les pigeons, mais les perdrix,
Mais les lièvres, qu’en dirent-ils?
La belle question, quand surtout on l’adresse
A des rois et des courtisans!
Quand les grands sont dans l’allégresse,
Pensent-ils aux petites gens
Qui font les frais de leur liesse ?
“La Clémence de l’Aigle”