Les animaux malades de la peste résumée
Jean de La Fontaine – Les Animaux malades de la peste
1. But de cette fable.
— La Fontaine se propose de nous montrer que suivant que nous serons puissants ou misérables, nous serons absous ou condamnés par la justice des tribunaux.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
2. Moralité.
— Elle est indiquée par les deux derniers vers de la fable, si connus qu’il n’est nul besoin de les rappeler au lecteur. Que faut-il penser de cette moralité ? Ne semble-t-elle pas tout à fait contraire aux principes d’une saine morale ? Elle le serait en réalité, si le fabuliste avait voulu tracer une ligne de conduite aux juges de la terre, s’il avait voulu leur donner à entendre qu’ils devaient dans leurs sentences s’inspirer de la situation personnelle de leurs clients, absoudre les criminels riches et puissants, condamner impitoyablement les accusés, coupables ou non, qui ne jouiraient pas d’un grand crédit et d’une fortune considérable. Mais telle n’est pas l’intention du poète ; il se contente de signaler les faits, de faire connaître ce qui se passe pour l’ordinaire. Il y a loin de cet exposé des faits et de la conduite des humains à une approbation même tacite de ces mêmes faits, de cette conduite. Parce qu’il aura dit que l’innocent est châtié et que le coupable est renvoyé absous, il n’est pas du tout vrai que La Fontaine conseille et approuve cette manière d’agir ; il ressort même de l’ensemble de la fable un blâme général que tout lecteur devine aisément. Évidemment, il n’est personne qui ne comprenne que la plupart des acteurs de ce petit drame sont des coquins, et que les juges de la terre qui les imitent ne le sont pas moins.

3. Choix des personnages.
— Suivant son habitude, le fabuliste pour faire mieux mettre en relief son idée et atteindre son but se sert de personnages qu’il fait agir. Cette fois-ci il n’a pas eu recours à des êtres inanimés, des arbres, un torrent, une rivière ; avec de tels acteurs, il lui eût été difficile de traduire sa pensée ; il a donc choisi des animaux. Remarquons combien son choix est heureux, combien ces animaux sont appropriés au rôle qu’ils doivent jouer.
Il lui faut d’abord un personnage qui remplisse le rôle du client pauvre, sans ressources, sans défense, du client qui sera iniquement sacrifié par des juges mauvais. Quel animal mieux que l’âne pouvait remplir ce rôle ? L’âne si débonnaire, si patient et en même temps si inoffensif ? En est-il beaucoup qui dans leur carrière commettent moins de méfaits ? Confier ce rôle au lion, au renard, au loup, au chat, ou même à un oiseau de proie, c’eût été un contre-sens, c’eût été forcer la nature en leur attribuant des qualités ou des défauts qu’ils n’ont pas. Après avoir choisi l’âne pour remplir le rôle de la victime, il fallait assigner à d’autres acteurs les rôles des grands coupables et des juges pervers. La Fontaine n’a pas eu de peine à les attribuer à ces animaux forts, cruels, rusés qui s’appellent le lion, le loup, le renard, le chien. Il faut avouer que dans cette fable, comme du reste dans les autres fables, notre fabuliste a été bien inspiré en faisant le choix de ses personnages.
4. Circonstance de temps.
— Le choix des personnages fait, il fallait les faire agir, parler, de façon à arriver promptement au résultat visé par le poète. Il fallait des circonstances particulières pour que chacun pût montrer ses instincts et donner à la justice humaine l’occasion de paraître avec ses balances fausses. L’appareil des tribunaux ne peut s’étaler sans une cause grave. Quelle sera cette cause qui mettra en émoi les juges et qui sollicitera une sentence solennelle ? Cette cause sera en effet une des plus considérables ; ce sera une peste, mais une peste comme jamais il n’y en eût ici-bas, une peste qui fut inventée exprès pour punir les crimes de la terre. Il s’agit d’écarter ce fléau en punissant les crimes qui l’ont provoqué. Quel sera ce crime ? Hoc opus, hic labor est. Il faut le trouver et le châtier.
5. Mise en scène.
— Nous connaissons le but de la fable, nous connaissons les personnages, nous connaissons les circonstances qui ont provoqué la réunion des juges. Il nous reste à connaître la mise en scène par l’apparition des acteurs et par l’exécution du rôle qui est confié à chacun d’eux.
En présence des maux sans nombre qui accablent les animaux, le lion les convoque en assemblée générale, et leur déclare que chacun est tenu de révéler les crimes qu’il a commis ; il faudra que le plus coupable se dévoue pour obtenir la guérison commune. Là-dessus il fait sa confession, qui certes n’est pas légère ; que de moutons il a dévorés ! Plus d’une fois même le berger n’a pas trouvé grâce devant lui.
Après le lion, le renard s’avance, et, toujours fin matois, voulant s’attirer la protection du roi des animaux, il commence par le justifier, le loue même de ces prétendus méfaits ; puis, confiant et sûr qu’on aura pour lui autant d’indulgence qu’il en a montré pour le plus puissant des animaux, il confesse ses fautes ; naturellement, il passa pour un saint ; passeront aussi pour des saints le tigre, l’ours et les autres puissances.
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
Voici le tour de l’âne, le moins coupable de tous ; il a, croit-il, il n’en est pas bien sûr, ce n’est qu’un vague souvenir, il a autrefois tondu, dans un pré de moines, la largeur de sa langue ; bien des circonstances ont justifié, cette peccadille : la faim, l’occasion, l’herbe tendre, et quelque diable aussi, tout le poussait à agir de la sorte. Y avait-il vraiment là même une faute légère ? Qui oserait le soutenir ? N’importe. Haro sur le baudet ! crie en chœur la foule des animaux ; voilà le pelé, le galeux, d’où venait tout le mal. Le pauvre hère fut mis à mort.
Telle est en résumé la substance de cette fable. Comme conception, comme mise en scène, comme choix des personnages, il semble difficile de ne pas reconnaître que tout cela est excellent.¹
Antoine Joseph Becart, professeur et philosophe…
Cette fable, que l’on regarde avec raison comme le chef-d’œuvre de l’inimitable La Fontaine, a pour but moral de nous apprendre que dans la société, c’est ordinairement le plus faible qui est puni le plus rigoureusement ou qui échappe le moins à la vindicte des lois. Ce petit poème est non-seulement le chef-d’œuvre du fabuliste ou plutôt du fablier français, mais on peut dire hardiment que c’est le chef-d’œuvre de toutes les fables connues.²
Références
- L’Éducation catholique : revue de l’enseignement primaire, Imprimerie de Ve E. Carrère (Rodez) – Gaume et Cie (Paris) – 1889-11-08
- Précis d’un cours complet théorique et pratique sur un plan entièrement neuf et d’après les meilleures sources de rhétorique française et de belles-lettres en XXIV leçons. Antoine Joseph Becart. De Wallens, 1841.
- Illustrations : Gustave Doré – Jean-Jacques Grandville et Vimar.