Édouard Delfont
Fabuliste contemporain – La fermière et ses œufs
Une fermière avait fait choir
Quelques œufs pris au poulailler.
Nul ne railla ni fut fâché,
Ni mari, ni enfant, ni voisin trop bavard,
Mais la fautive fit valoir
Que le sol l’avait fait glisser,
Que son dos la faisait souffrir,
Et que le sort contre elle agissait de son pire.
La poignée du panier il fallait remplacer ;
Sûrement elle avait un défaut quelque part,
Elle bougeait un peu, elle semblait bizarre.
En outre ses sabots, trop usés pour servir,
L’avaient fait trébucher.
Ils flottaient sur les pieds,
Le bois lui paraissait moisir…
Lecteur, j’abrège l’inventaire
Des drôles d’objections
Que présenta notre fermière.
Elle avait ses raisons
D’avoir cassé cinq ou six œufs ;
Et si tous les motifs purent sembler brumeux
Du moins firent-ils illusion
À l’orgueil chiffonné de cette pauvre femme.
Qu’un manque d’attention ait causé l’accident
C’était le petit drame
De la petite dame :
Elle se raconta le malheur autrement.
Qui a dit : « L’erreur est humaine » ?
Un sage, je suppose ;
Pourtant elle est la cause
Que l’on ment et fait de la peine.
La fierté n’admet pas que rien gratte ni griffe
Sa longue robe aristocrate :
Une action maladroite
Et l’orgueil, sans traîner, vous conçoit vingt motifs.
Édouard Delfont