Le Lapin, dans les fables de Jean de la Fontaine :
Ce lapin est un homme sensible, comme on disait alors. Ce n’est plus Jeannot Lapin, un de ces gais compères qui, le soir sur la bruyère, « l’oreille au guet, l’œil éveillé, s’égayent et parfument de thym leur banquet. » C’est un élégiaque.
« Hélas ! S’écriait-il, m’entends-tu ? Réponds-moi,
Ma sœur, ma compagne chérie;
Ne prolonge pas mon effroi.
Encor quelques moments, c’en est fait de ma vie ;
J’aime mieux expirer que de trembler pour toi. »
Non-seulement, ces phrases sentent la rhétorique, mais elles font contre-sens dans un lapin. Le vrai lapin est brusque, étourdi, gourmand, très- mauvais père, capable même d’étrangler ses petits, très égoïste; pourvu qu’il puisse « brouter, trotter, faire tous ses tours, » il se soucie peu du reste. Qu’on prenne et qu’on mange tous ses frères, il n’en perdra pas un coup de dent. Sa physionomie est assez sotte, et son air étonné ; aussi, pour en faire un personnage humain il faudra lui donner la mine et les actions d’un novice. Il ira jouer parmi le serpolet et la rosée, les oreilles dressées, le regard vif, mais un peu niais, gambadant comme un écolier, passant la patte sur sa moustache naissante. Ce sera « le petit lapin. » Si, comme Florian, le poète veut peindre l’amitié, il cherchera ailleurs ses modèles. Il choisira parmi les oiseaux, « le peuple au col changeant, au cœur tendre et fidèle, » la colombe compatissante qui jette un brin d’herbe à la fourmi qui se noie, qui met la paix entre les vautours ses ennemis. Il verra le pigeon voleter avec un empressement gracieux autour de sa femelle, baisser et relever tour à tour son col flexible d’un air suppliant et tendre, attacher longuement sur elle ses yeux si doux, et se soulever à demi sur ses ailes bleuâtres pour la becqueter de son bec rosé et délicat. Il écoutera dans les bois le gémissement interrompu des tourterelles, et comprendra que le seul oiseau dont il puisse faire un amant est « l’oiseau de Vénus. »
1. Florian. IV, XIII.
2. La Fontaine, X, V.