Ayant amassé maint trésor,
La fourmi dut enfin payer à la Nature
L’impôt de toute créature;
Elle expira sur un tas d’or.
Non loin de là, la cigale joyeuse
Chantait encore, et, vaillamment,
Du noir trépas insoucieuse,
Rendait l’âme au même moment.
Cependant, des splendeurs de la voûte azurée,
Le souverain de l’ Empyrée
Fait comparaître devant lui
Ceux dont le sort ici-bas se termine.
C’était la cigale aujourd’hui
Avec la fourmi sa voisine.
« Çà, demanda le Dieu, cigale, réponds-moi :
Qu’as-tu fait de bon sur la terre?
Raconte nous, sans nul effroi,
Ton existence solitaire. »
— « Sire, soyez clément, dit le pauvre animal;
Je n’ai jamais rien fait de mal :
Sur le bord des routes poudreuses,
Aux amoureux, aux amoureuses,
Je répétais mes gais refrains.
J’ai dissipé bien des chagrins;
Mais mon bagage est très modeste,
L’amour et les chansons ont fait du tort au reste;
Je n’ai connu le labeur ni l’effort.
Que votre sagesse décide;
Je riais tout à l’heure aux portes de la mort,
Seigneur, et je suis pauvre, et ma besace est vide. »
— « A toi, fourmi, parle à ton tour! »
La fourmi dit : « J’ai confiance.
Je n’ai connu ni les chants, ni l’amour,
Mais la bâtisse et la finance.
J’ai souffert, lutté, voyagé,
Amassé, construit, ménagé;
Des caves jusqu’aux toits mon logis étage
Dans un ordre admirable est partout arrangé.
Nuit et jour j’étais à la tâche,
Et, sans relâche,
Je courais dans les bois par toutes les saisons.
Je possède quatre maisons.
J’espère qu’on saura récompenser ma peine,
Seigneur, car je suis riche, et ma besace est pleine. »
Jupin, embarrassé, se gratta le menton :
« Le cas est grave, par Pluton!
Eh bien, faites chez nous ainsi que sur la terre,
Madame la propriétaire,
Vous tiendrez le ménage ici…
Toi, cigale, pas de souci.
Je veux que ta chanson me plaise,
Tu t’amuseras à ton aise. »
La fourmi, paraît-il, murmura quelque peu.
Mais que peut-on répondre au jugement d’un Dieu?
Comme je racontais à mon fils cette histoire,
— C’était une imprudence, et ma faute est notoire, —
Il réfléchit d’abord, et puis, sans sourciller :
« C’est donc qu’il est permis de ne pas travailler? »
Sa mère alors reprit, avec un doux sourire :
« C’est autre chose, enfant, que ton père veut dire.
Le travail, c’est la joie et la force ici-bas;
Mais force sans douceur, cela ne suffit pas.
La fourmi travailleuse est méchante personne.
Dans ses greniers jaloux elle gardait son bien,
La cigale chantait; mais son âme était bonne.
Elle était généreuse, et le reste n’est rien. »
“La Fourmi et la Cigale”