Contre les Avares.
Une Marmotte rebondie
En ses quartiers d’hiver, vous me comprenez bien,
S’en allait à pas lents, déjà presque endormie.
Elle rencontre en son chemin
Dame Fourmi maigre et fluette,
Qui des pieds et qui de la tête
Entraînait un énorme grain
Dont elle avait fait la conquête
Sur le bord du chemin
Voisin.
— Par le Dieu du sommeil, ma chère,
Où traînez-vous donc ce butin ?
Lui cria la grasse commère.
Qui vous met l’esprit à l’envers ?
Car, s’il faut croire
Ce qu’un savant écrit de votre histoire,
Si, comme nous, vous passez les hivers
Dans une parfaite indolence,
Pourquoi tant de travail ? Pourquoi tant d’imprudence ?
Ne vous assommez pas, rentrez vite chez vous
Et ne songez qu’à dormir un bon somme.
Un bon somme, ma chère, est-il rien de si doux ?
— Celui qui nous créa ne nous fit pas pour nous,
Dit la Fourmi ; mais pour instruire l’homme ;
Car nous tous autres animaux,
Ne sachant rien, pleins de faiblesse,
Nous sommes pour lui les échos
De la plus sublime sagesse.
Des vers viendront manger le grain qu’à si grands frais
Dans mon réduit je leur prépare :
C’est pour apprendre à l’homme avare
Qu’il est un insensé d’entasser des bienfaits
Dont les soins épuisent sa vie
Et dont sa stupide manie
Non seulement ne profitera pas ;
Mais qu’elle amasse, hélas !
Pour éveiller la sombre envie,
Ou pour des inconnus, ou pour des cœurs ingrats.
Oui, c’est folie
De trop chichement ménager
Pour enrichir un étranger.
Mais, adieu, ma bonne commère.
Il faut, sans nous décourager,
Instruire le roi de la terre,
Et, tant pis, si ses passions
Le rendent sourd à nos leçons !
De sa sottise, un jour, il aura le salaire.
“La Fourmi et la Marmotte”