Les fourmis sont laborieuses,
Elles amassent chaque jour ;
Voyez-les traîner, tour à tour,
En leurs demeures ténébreuses
Le grain de blé, fardeau bien lourd !
Quels efforts ! quelle diligence !
Il semble, à voir leurs soins constants,
Qu’elles pressentent l’inclémence
Du noir hiver et des autans.
On les dit très-peu généreuses
(La Fontaine un jour s’en souvint),
Elles sont pourtant fort prêteuses
Lorsqu’il s’agit du denier vingt*.
L’une d’elles (n’en citons qu’une),
Ayant par cette usure amassé quelque bien,
Voulut jouir de sa fortune,
Et loin d’une foule importune
Vécut dans le repos sans se mêler de rien :
Plus de pénibles traversées,
De sueurs, de courses forcées,
De longue nuit passée à bien ranger le grain,
Dormir la grasse matinée,
S’amuser durant la journée,
Voilà comme on agit, quand on a quelque gain.
Notre fourmi, mais non sans peine,
Persista toute une semaine
Et l’ennui la gagna bientôt ;
La fortune, dit-elle, est un bien triste lot,
Retournons au chantier, c’est meilleure trouvaille,
On y va de bon cœur, on en revient content,
Et tandis qu’en mon trou je bâille
Mes sœurs travaillent en chantant.
J’approuve ce discours. Par un touchant mystère
Chaque travail a sa douceur,
Mais l’oisiveté délétère
Affaiblit notre corps et corrompt notre cœur.
*L’argent
“La Fourmi, fable de Camille de la Boulie”