Une fourmi, donnant tout son temps et ses forces,
Au risque d’attraper entorses sur entorses,
A remplir pour l’hiver son habitation,
Traînait, mais non sans peine, un défunt hanneton.
Quelqu’un la regardant, surpris d’un tel courage,
Dit assez haut : Comment ! un si, petit corsage,
Peut, sans se séparer en deux ou, trois morceaux,
Parvenir à .traîner d’aussi pesants fardeaux !
La fourmi, l’entendant, s’arrête tant-pour rire,
Que pour se reposer puis s’empresse de dire :
— L’homme se sert bien moins de la force du corps,
Des muscles et des nerfs, et de tous ses ressorts,
En un mot, cher passant, de la vigueur de l’âge
Qu’il conserve longtemps, s’il est prudent et sage,
Que de sa volonté, sa bonne intention,
Pleine de fermeté, de résolution.
S’il se trouve un fardeau fort pesant, c’est terrible,.
Sa rencontre, il est vrai, te sera bien pénible,
N’importe, du courage, essaye à le lever,
Tu sauras emporter ce qu’on n’a pu bouger.
Partout la patience est la plus belle voie,
Qui nous conduit toujours au bonheur, à la joie.
Mais brisons, ne voulant, cher passant, te prêcher.
Bonsoir et bonne nuit, je rentre me coucher.
Le lendemain matin, fourmi, ce corps débile,
Se démenait encore, échauffait sang et bile
Après son hanneton, sur un riant coteau, .
Quand advint sur un arbre un curieux moineau.
Stupéfait du courage, adresse la parole
Au tout petit insecte. Hélas ! je te croîs folle,
Quel métier fais-tu la, quel est donc ton dessein,
De toujours travailler, au soir comme au matin ?
— Ecoutez, cher moineau, c’est chose bien certaine,
Il faut, pendant l’été, comme a dit La Fontaine,
Se pourvoir pour l’hiver; mais sachez, mon Pierrot,
Que mon chétif métier n’est vraiment pas si sot.
Je conçois que pour vous, qui savez partout prendre,
Ce serait difficile à vous faire comprendre
Que vos ailes, bienfait du Divin Créateur,
Sont pour voler en l’air, non devenir voleur.
Je voudrais, cher moineau, pouvoir dire autre chose,
Mais sur vous, je n’ai rien qui soit couleur de rose :
Au surplus, je ne puis aujourd’hui bavarder;
Permettez qu’à l’instant, moineau, sans plus tarder,
Je traîne mon défunt, cette énorme pitance,
Jusqu’à mon domicile., oh ! pour moi qu’elle avance.
Je ferai mes jours gras avec ce hanneton,
Il aura près de lui ma belle mouche-taon.
Je vous Crois amateur, mon cher, d’historiette,
Eh bien, pour n’en pas perdre une seule miette
Venez me visiter, cet hiver, franc moineau,
Quand vient le noir frimas je n’ai plus:de fardeau.
Il me sera loisible, ami, ne vous déplaise,
De tout vous raconter .et vous voir à mon aise.
Pardon, je perds un temps pour moi bien précieux,
Sur ce, la fourmi fit un salut gracieux.
“La Fourmi, l’Homme et le Moineau”