Un jour qu’à son grenier, déjà plein, archi-plein,
Elle emportait un trop pesant butin,
Dame fourmi s’était cassé la patte.
Tout aussitôt l’on fit venir
Du voisinage l’Hippocrate :
Il répondit de la guérir.
— Ah ! bon docteur, vous me rendez la vie,
Dit la malade avec un gros soupir ;
Mais que me coûteront vos bons,soins, je vous prie?
— Presque rien :
Il sera temps quand vous serez guérie…
— Mais encore,, combien ?
J’aime que toujours en affaires Le prix d’avance soit réglé.
— Soit. Vous paîrez pour honoraires
Cinq grains de blé. — Cinq grains de blé!
Vous plaisantez, je pense, à moins que je sommeille.
Ignorez-vous combien, pour avoir rassemblé
Une somme pareille,
— Bah ! vous êtes riche à trésors.
— Moi riche ! On a menti… D’ailleurs, il n’est remède
Qui ne me fasse horreur. Adieu, docteur, adieu.
Je sens que je vais mieux, grand merci de votre aide.
Je me guérirai bien sans vous, s’il plaît à Dieu. —
A quelques jours de là, la douleur fut si vive
Qu’il fallut rappeler le docteur : il arrive.
Mais le mal a fait des progrès.
Une opération difficile et cruelle
Est urgente à présent. Voilà bien d’autres frais !
Notre avare, à cette nouvelle,
Eut pour sa bourse si grand peur
Qu’elle en oublia sa douleur
Et renvoya l’opérateur.
Pourtant, au bout d’une semaine,
Le mal redouble. La gangrène
S’y met et s’y répand soudain :
C’est l’agonie et ses détresses.
Vite, vite, le médecin !
L’avare lui promet en vain
Moitié de toutes ses richesses.
— Il est trop tard, dit le savant ;
Vous ne verrez point l’autre aurore.
De faire votre testament
Le temps juste vous reste encore. —
La fourmi ne l’eut même pas.
Rien ne recule le trépas,
Il faut partir quand l’heure sonne.
Elle n’avait aimé personne,
Personne ne la regretta,
Et la cigale en hérita.
“La Fourmi malade”