Quand l’Enfer eut produit la Goutte et l’Araignée,
« Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter
D’être pour l’humaine lignée
Egalement à redouter.
Or avisons aux lieux qu’il vous faut habiter.
Voyez-vous ces cases étrètes,
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ?
Je me suis proposé d’en faire vos retraites.
Tenez donc, voici deux bûchettes ;
Accommodez-vous, ou tirez.
– Il n’est rien, dit l’Aragne, aux cases qui me plaise. »
L’autre, tout au rebours, voyant les Palais pleins
De ces gens nommés Médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l’autre lot, y plante le piquet,
S’étend à son plaisir sur l’orteil d’un pauvre homme,
Disant : « Je ne crois pas qu’en ce poste je chomme,
Ni que d’en déloger et faire mon paquet
Jamais Hippocrate me somme. »
L’Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie,
Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie,
Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l’ouvrage.
Autre toile tissue, autre coup de balai.
Le pauvre Bestion tous les jours déménage.
Enfin, après un vain essai,
Il va trouver la Goutte. Elle était en campagne,
Plus malheureuse mille fois
Que la plus malheureuse Aragne.
Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer. Goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée.
« Oh! je ne saurais plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma soeur l’Aragne. » Et l’autre d’écouter :
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balai qui l’oblige à changer.
La Goutte, d’autre part, va tout droit se loger
Chez un Prélat, qu’elle condamne
A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes, Dieu sait. Les gens n’ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L’une et l’autre trouva de la sorte son conte.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
Cette goutte que l’auteur personnifie pour la mettre en scène avec l’araignée est une idée assez bizarre et peu digne de La Fontaine.
V. 11. . . Aragne, vieux mot conservé pour le besoin de la rime ou du vers.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Quand l’Enfer eut produit la Goutte et l’Araignée. On se prête aisément à la fiction que la Goutte est fille de l’Enfer ; mais l’Araignée, pourquoi lui donner une origine aussi odieuse? A travers ces formes ingrates dont s’offense notre délicatesse, les anciens avoient lu mieux que nous l’histoire de sa naissance. Ils supposaient qu’elle avait été, sous le nom d’Arachné, une jeune et belle artiste, brodeuse excellente, ayant assez de confiance dans ses talents pour oser défier Minerve elle-même. Un chef-d’œuvre nouveau venait d’éclore sous ses doigts. La superbe déesse s’en vengea, en changeant sa rivale en Araignée : mais en lui ôtant sa première forme , elle n’a pu lui enlever son talent. L’Araignée est encore tout ce qu’elle, fut avant sa métamorphose, active, laborieuse, économe, sensible aux attraits de l’harmonie: on l’a vu s’associer aux concerts de plus d’un Orphée solitaire . Ah ! si nos injustes dégoûts l’ éloignent de nos maisons, laissons-la du moins Habiter en paix nos cachots. Souvent les malheureux n’y trouvèrent qu’une Araignée pour compagne et pour amie …lire la suite