Air : J’ai vu la meunière.
Une grenouille vit un bœuf
A large encolure.
Qui, dans un bel habit tout neuf,
Se donnait carrure.
Je veux, dit-elle, en faire autant,
J’ai vingt livres d’argent comptant,
Faisons donc figure
Comme ce manant.
Elle s’en va trouver le bœuf.
Bonjour, mon bel homme,
A moi, grosse au plus comme un œuf,
Veuillez dire comme
Vous portez sous votre pourpoint
Un si magnifique embonpoint,
Ce n’est pas en somme
A manger du foin.
Foin du foin, répondit le bœuf,
Et foin de l’avoine.
Ce dont je m’ nourris n’est pas neuf;
Et, mieux qu’ frère Antoine,
Chez Véry je prends mes repas,
Pour vingt francs j’ai mes quatre plats.
Voilà, comme un moine,
Pourquoi je suis gras.
La grenouille, c’était l’hiver,
Met ses bas de laine,
Et jette sur son corset vert
Son manteau de reine.
Puis, elle s’en va chez Véry…
Garçon, vite un macaroni,
Du vin de Surène
Et du veau rôti.
Une salade de cresson,
Douze anchois à l’huile,
Six morceaux de ce saucisson
Comm’ chez l’ pèr’ Lathuile.
De Neufchâtel un vieux bondon,
Pour vingt sous de ce miroton,
Ce pâté d’anguille,
Et c’ gigot d’ mouton.
Elle s’attable sans façon.
Voyez la commère,
Mangeant deux fois plus qu’un bison
N’eût osé le faire.
Et pourtant le garçon lui dit :
Vous avez l’estomac petit…
N’en prenez, ma chère,
Qu’à votre appétit.
Qu’est-ce à dire, insolent garçon!
Répond la pécore ;
Apporte ton plus gros melon,
Que je m’enfle encore.
Oui, sans faire trop d’embarras,
Après trente pareils repas.
Je veux qu’on m’honore
Comme le bœuf gras
Mais de son indiscrétion
Elle fut punie, Une horrible indigestion
Lui coûta la vie.
Ce qui prouve qu’un cornichon
Ne peut, sans perdre la raison,
Concevoir l’envie
D’être potiron.
Ed. Neveu. Air ancien. La Grenouille et le Boeuf.