Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Analyses – La Grenouille et le Rat
La Grenouille et le Rat, commentaires et analyses de MNS Guillon – 1803
- La Grenouille et le Rat.

(1) Comme dit Merlin. Le Merlin dont il est ici question, n’est point du tout le célèbre enchanteur de l’Arioste ; comme le prétend M.Coste, qui renvoie savamment son lecteur au Dictionnaire de Moréry. C’est Merlin Coccaie ( Folengo) , l’auteur de l’Histoire Macaronique. Voici ses propres termes :
Vidimus experti quod quisquis fallere cercat Deceptum tandem se cernit tempore quoquo.
( Macaron. X. p. 228. éd. Vénit., 1581.)
lesquels se trouvent traduits ainsi dans la version de 1606 : « Nous avons souvent expérimenté que qui cherche à tromper autrui, est, avec le temps, trompé lui-même (pag. 337. ) ». Pour conserver la physionomie de l’original, La Fontaine a emprunté des expressions antiques, à moins qu’il ne les ait prises d’une autre version qui nous est inconnue »
(2) Guide engeigner autrui,
Qui souvent s’engeigne lui-même. On lit dans un vieux manuscrit anonyme :
Vers vos dame Cui cuidoie engignier.
La Fontaine a soin de prévenir son lecteur que ces mots sont trop vieux : il les regrette avec raison. Le premier se trouve fréquemment dans les anciens auteurs : il signifie penser. Clém. Marot le fait venir du latin cogitare, penser, estimer, croire d’espérance. ( V. son éd. de Villon, p. 34. note ; commentaire) et La Ravallière, de credere (Poés. du Roi de Navarre, X. II. p. 215). On lit dans Rabelais : «Le feu si soubdain, qu’il cuida embraser le paovre Carpalim » ( T. II. p. 235 ), et bien plus anciennement : Il ne s’en cuidoit aller de grant temps après ».(Roman de Perceforest, T. V. fol. 40. Col. 1). L’autre, moins commun, vient, selon Ménage, du latin ingannare. Il se trompe. Il tient du mot engin, ruse , stratagème. De-là naîtront engins à vous envelopper, die La Fontaine ( L. I. fab. 8 ). Le Roman de Lancelot du Lac ( t. I. fol. 161. éd. in-4°. ) : « Vous ne pouvez si bien exploiter par force que par engin ». De-là s’est formé engigner ou engeigner,
la lettre g s’ajoutant familièrement à l’n, comme dans ung pour un, desseing pour dessein, etc.
(3) Plein d’embonpoint, gras et des mieux nourris. Peinture gracieuse. On croit voir le Prélat du Lutrin.
(4) Et qui ne connaissait l’Avent ni le Carême. Trait malin lancé en passant contre ceux qui oublient un devoir respectable.
(5)……Les délices du bain,
La curiosité, etc. Tous les motifs de persuasion se trouvent ana-lysés avec autant de force que de précision. Mais sur-tout avec quel art le poète mêle aux jouissances du moment les espérances de l’a venir ! Quelle connaissance du cœur ! Un jour il conterait à ses petits enfants. La Grenouille ne parle point du plaisir qu’elle doit recevoir : elle met à son invitation plus de désintéressement. Tout est pour le Rat. La perfide ! on ne l’en croira que plus aisément !
(6) Un point sans plus. Comme : un Rat sans plus (Fab. 18. Liv. III.). C’est-à-dire un seul point. M. l’abbé Aubert :
Un point sans plus leur ôtait l’avantage.
(Liv. Il.fab. 8.)
(7) Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l’aide. Est-il possible de peindre avec des nuances plus délicates ces hypocrites modesties qui ne confessent jamais leur ignorance, qu’en sauvant l’intérêt de l’amour-propre ?
(8) Dans le marais entrés, notre bonne commère. Rappelons aux commençants que, d’après la règle de l’accord du participe avec son nominatif, il doit en suivre le nombre. Or, dans ce vers, entrés ne saurait être régi au pluriel par notre bonne commère au singulier. C’est que La Fontaine a voulu faire de son participe l’ablatif absolu des Latins : encore faudrait-il qu’il fût précédé d’un nom ou pronom relatif.
(9) Contre le droit des gens, contre la foi jurée. Est-ce l’animal , est-ce le poète qui accuse en ces termes la perfidie ? Cette réflexion passe dans l’âme du lecteur : on prend parti pour l’opprimé; on atteste les Dieux ; on demande vengeance , et on l’obtiendra. Homère l’a dit, et l’expérience le dit encore plus haut :
Le crime rarement jouit d’un long bonheur ;
Il tombe tôt ou tard dans les mains d’un vengeur.
(Odiss.L. VIII. v. 339.)
(10) Gorge-chaude et curée. Termes de chasse. Gorge-chaude, portion de chair donnée aux oiseaux de proie. Curée, celle que l’on donne aux chiens.
Nous deviendrons sa proie et sa curée, a dit le P. Du Cerceau. (Fab. la Lionne et le Renard. )
La Grenouille et le Rat analyse