Fables de l’Académie des jeux floraux
Qui a concouru pour le Prix, Par M. Maygrier, Rédacteur au Ministère d’Etat.
L’Espoir et le dernier bien que l’on perd.
« Dieu ! le gentil Bourdon !… ah ! s’il venait à moi ! »
— « La belle Guêpe! mais je n’ose…. »
C’était dans un parterre et sur la même rose
Qu’avaient lieu la rencontre et ce touchant émoi.
Puis l’œil joue, on approche, on se touche de l’aile,
Et bientôt on se jure une flamme éternelle.
Tous deux étaient à leur printemps,
Et le cœur, jusque là, n’avait rien dit encore.
Les voilà désormais de l’empire de Flore
Les plus fortunés habitants.
Le jour, c’était le vol plein de charmants caprices ,
Le miel pris, savouré dans le fond des calices,
Loin des jaloux et des fâcheux ;
(C’est nectar, en amour, ce que l’on goûte à deux.)
C’étaient enfin mille délices;
Et, la nuit proche, nos amants
Revenaient à la fleur témoin de leurs serments,
Où les replis discrets d’une couche embaumée
Tenaient jusqu’au matin leur ivresse enfermée ;
Car, lorsqu’ils s’envolaient de l’asile vermeil,
Tout n’avait pas été sommeil.
Heureux insectes! que de choses
On doit se dire au sein des roses !
Mais « bah ! dit un matin notre inconstant Bourdon,
Le plaisir est partout sous le céleste dôme : »
Et, laissant tout à coup l’ambroisie et l’arôme.
Où vola-t-il ? Sur un chardon.
La Guêpe l’y suivit, mais à regret, mais lente :
Qu’allaient- ils faire à cette plante”?
A peine arrivés là, que, sans plus de façon,
Le voilà qui fredonne une leste chanson,
(De quelque fol insecte il la tenait, je pense.)
De vingt traits de la sorte il se met en dépense.
Adieu les riens galants et le parler fleuri;
Chaque nouvel écart emportait de sa flamme.
Plus d’éternels baisers, doux messages de l’âme;
Bref, d’amant qu’il était, ce n’est plus qu’un mari.
Alors, de son côté, la belle
Se laisse aller au même cours.
Plus de parfum dans ses discours.
Longtemps l’amour lutta chez elle.
Mais tout le charme était rompu :
— « Ce petit corps, dont la conquête
M’avait d’abord tourne la tête,
Comme il devient lourd et trapu!
Et qu’à la fin est monotone
Un mari qui toujours bourdonne ! »
— « Qu’avait donc, à mes yeux, ce grand corps élancé
De si riche en attraits, pour m’avoir enlacé ?
Elle a l’œil hors de tête et se serre la taille
Qu’en vérité c’en est hideux :
Un brin d’herbe, un beau jour, va la couper en deux.»
De son mieux , en un mot, l’un de l’autre se raille ;
Mais le tout à part soi : de longs jours de bonheur
Leur commandaient cette pudeur.
Seulement la pensée, à défaut de langage,
Se trahissait sur le visage.
Mais quand d’un jeune hymen l’amour s’est envolé,
Le cœur d’un autre amour veut être consolé ;
Et chacun eut bientôt suivi sa fantaisie
Contre la foi jurée, et partant le devoir.
En ménage, il est bon d’avoir
Toujours un peu de poésie.
“La Guêpe et le Bourdon”
Recueil de l’Académie des jeux floraux – 1856