Certaine guêpe imprévoyante
Volait, par un matin d’été,
Près d’une ruche bourdonnante.
Ennemi de l’oisiveté,
Source des humaines misères,
Tout l’essaim travaillait au miel,
Que l’ignorance de nos pères
Donnait en nourriture aux habitants du ciel.
Prenant un ton de raillerie,
Notre guêpe aussitôt s’écrie :
Ô travailleurs ! gens insensés,
Pourquoi tant de biens amassés ?
Quels longs hivers verraient la fin de vos richesses ?
A quoi bon, mes amis, attrister vos jeunesses
Par l’ennuyeux souci d’un inutile emploi !
Ô peuples d’esclaves, pourquoi
Des présents de l’été faire un pareil pillage ?
Croyez-nous, il serait plus sage
De voler par les airs, sans peur des aquilons,
Comme nos frères les frelons,
Et de quitter enfin ces craintes ridicules
Qui vous retiennent tous captifs en vos cellules.
L’hiver aux doigts glacés met en fuite l’amour,
L’été passe comme un beau jour.
On ne répondit pas. — Que vouliez-vous qu’on dise
A cette babillarde ? — On rit de sa sottise :
Le rire est l’arme du mépris.
Elle s’en fut. L’automne et son triste cortège
De bise, de glace et de neige,
Fanèrent pervenches et lys.
La paresseuse un jour périt faute de roses,
Mais tout l’essaim pressé dans ses demeures closes,
Bravant l’hiver et ses rigueurs,
Grâce à tous ses travaux, à ses moissons de fleurs,
Comme un manœuvre après un travail salutaire,
Dormant d’un tranquille sommeil,
Retrouva, quand l’été vint sourire à la terre,
Ces deux présents du ciel : la vie et le soleil.
Le souvenir d’un jour de peine
Par un jour de bonheur est toujours effacé.
Courage, travailleurs ! car une règle humaine
Veut que de tout labeur on soit récompensé.
“La Guêpe et les Abeilles”