Il avait pour fortune un bureau de tabac :
C’était le rendez-vous des fumeurs du village,
Et sa pipe à la bouche, ainsi que c’est l’usage
Dans les longs ennuis du bivouac,
A son comptoir assis, il servait la pratique,
La France alors était en République.
En vain à son côté pérorait le vaurien,
Il ne parlait jamais de rien.
Il se trouvait content de son humble partage,
Et ne convoitait pas, du voisin, l’héritage.
Quoi ! lui disait un soir un clubiste effréné,
Vous êtes au travail sans cesse condamné,
De l’aube au soir, gagnant une pénible vie.
Au service d’autrui tristement asservie,
Et vous ne portez pas votre espérance ailleurs !
Osez, ainsi que nous, rêver des jours meilleurs.
L’avenir va bientôt couronner noire attente :
De la société la base est chancelante,
Embrassez notre cause ; ouvrant ses ailes d’or,
La liberté va prendre un radieux essor,
Offrira nos besoins de nouvelles ressources,
Et, du riche, l’argent va couler dans nos bourses !
A ces propos il souriait Et son langage alors jamais ne variait :
— Je ne crains pas la misère profonde,
Il n’en est pas ainsi pour tout le monde.
Heureux autant qu’un roi, plus tranquille que lui,
Grâces à Dieu, je me passe d’autrui.
Vous qui passez par ce village,
Allez voir un moment ce sage ;
Ambitieux rongés de soucis incessants,
Prêtez l’oreille à ses accents.
“La jambe de bois”