La perte d’un époux ne va point sans soupirs.
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole ;
Le Temps ramène les plaisirs.
Entre la Veuve d’une année
Et la veuve d’une journée
La différence est grande : on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne.
L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;
C’est toujours même note et pareil entretien :
On dit qu’on est inconsolable ;
On le dit, mais il n’en est rien,
Comme on verra par cette Fable,
Ou plutôt par la vérité.
L’Epoux d’une jeune beauté
Partait pour l’autre monde. A ses côtés sa femme
Lui criait : Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler.
Le Mari fait seul le voyage.
La Belle avait un père, homme prudent et sage :
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler,
Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :
Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l’heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports ;
Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt.- Ah ! dit-elle aussitôt,
Un Cloître est l’époux qu’il me faut.
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
Un mois de la sorte se passe.
L’autre mois on l’emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure.
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d’autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au colombier : les jeux, les ris, la danse,
Ont aussi leur tour à la fin.
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence.
Le Père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre Belle :
Où donc est le jeune mari
Que vous m’avez promis ? dit-elle.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 1. La perte d’un époux ne va pas sans soupirs.
Le seul défaut de cette fable est de n’en être pas une. C’est une pièce de vers charmante. Le Prologue est plein de finesse, de naturel et de grâce. Tous ceux qui aiment les vers de La Fontaine , le savent presque par cœur.
Le discours du père à sa fille est à la fois plein de sentiment , de douceur et de raison. La réponse de la jeune veuve est un mot qui appartient encore à la passion ou du moins le parait. La description de divers changemens que le temps amène dans la toilette de la veuve ; ce vers :
Le deuil enfin sert de parure ; Et enfin le dernier trait :
Où donc est le jeune mari !
On ne sait ce qu’on doit admirer davantage. C’est la perfection d’un poète sévère avec la grâce d’un poète négligé.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.

Quelle différence de cette fable à la précédente ! Il est vrai encore que celle-ci n’est point un apologue ; ce n’est aussi qu’une épi gramme que J. B. Rousseau eut réduite à sept ou huit vers ; mais quel qu’en soit le genre , apologue on non, c’est un petit chef d’œuvre de narration, où la grâce se mêle à l’enjouement; l’esprit à la naïveté. La versification en est pure, l’élocution juste, animée , pleine de goût ; les détails, riches, variés, charmans ; la plaisanterie fine, exquise. Non, encore une fois, ce ne sera pas une fable ; mais c’est, comme l’a dit La Fontaine, la vérité, et la vérité parée de la ceinture de Vénus.
(1) Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole, etc. Idée noble, revêtue d’une expression riante. S. Evremond nous apprend que la fameuse duchesse de Mazarin, la belle Hortense, citoit souvent ce vers. ( (Oeuv. div. T. V. p. 343.) ,
(3) Pareil entretien. Semblable seroit aujourd’hui plus exact ; mais ces deux mots étoient synonymes du temps de Malherbe, de Corneille et de La Fontaine.
(3) On dit qu’on est inconsolable :
On le dit, etc. Cette répétition est pleine de finesse et de naturel.
(4) Attends-moi ,je te suis, etc. Ces vers respirent cette molle langueur qui caractérise une affliction récente : on ne les lit point | sans en être pénétré soi-même.
(5) Est prête à s’envoler. Les anciens représentoient l’âme sous la forme d’un papillon, dont les ailes déployées la lancent dans les airs. Ainsi l’allégorie est juste ; l’application en est heureuse. Le mot envoler marquant la rapidité avec laquelle l’épouse désire rejoindre son époux.
(6) Le mari fait seul le voyage. Image familière, parce qu’on conte n’exige pas la gravité d’une oraison funèbre.
(7) Le torrent couler. Ces grandes douleurs qui ont l’impétuosité bruyante d’un torrent, passent aussi bien vite comme lui. La comparaison des pleurs coulant en abondance et par torrent, est antique : on la rencontré dans les saintes écritures, ce trésor inépuisable de toutes sortes de richesses, où l’on trouve à-la-fois, dit un écrivain éloquent , tous les Grecs et tous les Romains: David Simonides noster , Pindarus , Alcœus, Flaccus quoqué.
(8) Ma fille, lui dit-il, c est trop verser de larmes , etc. … Lire la suite