Sans rivaux et sans ennemis,
Un roi régnait jadis sur un peuple soumis,
Lorsque son fils aîné conspira — d’ordinaire,
La jeunesse ne sait pas attendre une fin. —
Tout prêt pour un coup téméraire,
Il avait aiguisé le poignard assassin.
Mais par bonheur les dieux éloignèrent la lame
De la poitrine de ce roi.
Accusé d’un forfait infâme.
Le coupable, selon la loi,
Fut jugé, puis absous ; car on dut reconnaître
Qu’ambition pouvait égarer la raison
De ce fils repentant autant qu’il pouvait l’être.
Mais le souverain furieux
Cassa l’arrêt, et sous les yeux
Du peuple rassemblé sur la place publique
Sans pitié le fit immoler.
Ce monarque mourut ; puis on fit ciseler,
Dans un marbre fameux tiré du Pentélique,
Son buste, qu’on plaça sur un socle d’airain.
Il servit de modèle au peuple souverain ;
Quoiqu’il mourût chargé d’un crime,
Par certains il fut proclamé
Auguste, grand et magnanime ;
Dans le cèdre il fut enfermé,
Une couronne sur la tête,
Et puis un jour certain poète,
Pour le célébrer dignement,
Le mit au rang des dieux tout emphatiquement.
Quand l’ombre du cruel monarque
Passa le Styx impur dans la fatale barque,
On dit qu’elle pâlit d’effroi.
Pluton lui dit du haut de son trône d’ivoire :
As-tu donc perdu la mémoire ?
Que viens-tu faire, ô méchant roi ?
D’ici va-t’en, coupable !
Le sang de ton enfant par tes mains répandu
Imprime sur ton front sa tache ineffaçable.
Le séjour des bons rois te sera défendu ;
Tu ne verras jamais la lumière céleste,
Dont les justes sont éclairés ;
Des châtiments sans fin pour toi sont préparés :
Repasse donc le fleuve et reste
Dans le séjour où les pervers
Hurlent en poussant des blasphèmes.
C’est le fer pénétrant dans les entrailles mêmes ;
C’est la dent des serpents, hôtes noirs des enfers,
Ou bien l’âpre douleur que la douleur ravive,
Et qui n’a point de fin par delà le trépas ;
C’est le feu flamboyant et brûlant la chair vive,
Que mérite celui qui ne pardonne pas.
Descends en enfer, car nous sommes
Arbitres de tous ceux qui vivent sous les cieux.
Il faut se méfier du jugement des hommes :
Les seuls bons juges sont les dieux.
“La Justice des Peuples”