Une jeune laitière au sourire agaçant,
A la mine éveillée, et fraîche, et guillerette,
Jeanneton, d’une main fluette,
Dans son lait doux et nourrissant
Épanchait une eau cristalline,
Dilatant son nez retroussé.
D’un air malicieux, notre blonde lutine disait :
” Vendre un liquide aussi pur et corsé ?
Fi donc ! les gras et parfumés potages
Seraient malsains pour nos bourgeois…
Cela put se faire autrefois ;
Mais autres temps, autres laitages.
Voyons : au bout du mois que pourrai-je acheter
Avec les picaillons du prix de mon baptême ?
Quatre sous d’eau par jour ! juste, suivant Barême,
Deux écus frappés neufs ! ah ! dame ! on sait compter.
Eh bien, ajoute encor Jeannette,
Ce soir je veux faire l’emplette
D’un fin chapeau de paille ! et j’aurai du guignon.
Si je ne puis aller devant monsieur le maire
Avec le gros Jacquot, le fils de la fermière,
Qui fait si bien sonner l’or et l’argent mignon.
Jeanne, morgué* ! n’est pas si bête
Qu’elle est mal habillée. En pomponnant sa tête
On finit par donner dans l’œil. ”
Murmurait-elle, à part, en flattant son orgueil.
Qu’advînt-il de l’objet dont elle s’émerveille ?
Sur un pont élevé, le dimanche suivant,
Son léger couvre-chef incliné sur l’oreille,
La belle trottinait, lorsqu’un furieux vent
Se déchaîne avec brusquerie,
Et sur le flot avide emporte le chapeau.
Alors notre laitière, oubliant la mairie,
Gros Jacques et ses écus, le regarde, et s’écrie :
Qui vient de l’eau retourne à l’eau.
*Morbleu.
“La Laitière, fable”