Félix MOUSSET
A mon ami Pierre Bessus.
Dans le vaste palais dont le maître royal
Ne trouve autour de lui que des gens voulant plaire,
Où tout est artifice, où tout est déloyal,
Le fou baille : il est triste et las de ne rien faire.
A ses pieds un grand lévrier
Dressé pour le plaisir, princier,
Bâille aussi lui, repu de sommeil, de mollesse.
Or un brillant seigneur dans l’antichambre vient,
Homme de haut panache et d’antique noblesse,
Secrétaire d’Etat, autant qu’il m’en souvient,
Ayant d’ailleurs fort belle allure.
C’est l’heure de la signature
Des comptes des fermiers généraux, des décrets,
Emplois distribués… bien souvent sans mesure,
Rapports d’ambassadeurs, arrêts.
À l’heure où vers le roi le ministre s’empresse,
Il voit l’homme et le chien vautrés dans leur paresse,
Et d’un air méprisant les regardant tous deux,
Se met à gourmander. « Tout beau ! Faites silence,
Dit le fou, nous faisons mieux que Votre Excellence ;
Mon compagnon et moi sommes deux paresseux,
C’est vrai ! Mais tout au moins vous devez reconnaître
Que nous ne nuisons pas au prince notre maître.
Je dors, autant en fait ce paisible animal.
A qui donc faisons-nous du mal?…
En diriez-vous autant, Monseigneur?… Non, peut-être !..
Moralité
Il est bien malaisé, dans un pareil débat,
De faire un choix ; pourtant j’avoue
Que j’aimerais mieux voir souvent celui qui joue
Avec les intérêts d’Etat,
Dormir, plutôt que de faire la roue,
Épuiser le pays et plaire au potentat.
“La Levrette et le Fou”