Près d’un bosquet touffu, dans un aimable asile
Qu’on avait nommé sans-souci :
Sans-souci ! nom charmant par un héros choisi !
Le donner est chose facile,
Chercher ce qu’il promet, c’est bien peine inutile
Chez tout prince ou tout favori !
Mais au fait : dans ce coin avoient pris domicile
Force moineaux, jugez le beau charivari.
Libres, gais, sémillans, chantant dès que l’aurore
Annonce à l’horizon le char du Dieu du jour :
Voltigeant, picorant, et plus souvent encore
Offrant leur hommage à l’amour
En moineaux que Dieu fit ! félicité touchante,
Céleste égalité, liberté que je chante,
C’était bien là votre séjour.
Non loin, s’offroit un élégant treillage,
Tout étincelant d’or, peint de vives couleurs ;
L’art l’avoit couronné de festons de feuillage ;
Frais tapis de gazons, qu’émailloient mille fleurs
En parfumoient le voisinage.
De ce réduit mystérieux
Sons enchanteurs, accens mélodieux
S’élançoient, invitaient aux douces rêveries ;
Là, ce gentil oiseau venu des Canaries ,
Éblouissoit, charmoit les yeux
Par son duvet, rival des jonquilles fleuries.
Hélas ! disoient moineaux, qu’est ce palais pompeux
Cet éclat, ces peintures ?
Dites-nous, pauvres créatures,
En êtes-vous donc moins dans des fers odieux,
Enchaînés loin des bords où vivaient vos ayeux* ?
Quoi, les détours si frais de ce riant bocage,
Ces ruisseaux purs, ces champs, ces prés délicieux,
Ne sont pas faits pour leur usage ?
Plutôt mourir que de vivre comme eux !
Ainsi parloient moineaux : c’étoit parler en sage ;
Car tous ces beaux dehors, qu’offroient-ils ? Une cage.
Un jour, je ne sais trop par quel cas fortuit,
Un des serins s’échappe ; il détale sans bruit,
S’aventure : bientôt égaré dans la plaine,
Inquiet, interdit, le voilà hors d’haleine,
A peine effleurant l’herbe, il pense à son réduit :
Son aile est en défaut, la liberté l’effraye ;
Les vents, la pluie, hélas tout est malencontreux !
Où suis-je, se dit-il, quelle épaisse futaie !
Atteindrai-je jamais ces sommets sourcilleux
Dont le front touche aux cieux !
Et le pauvret voltige à côté d’une haie :
Servile peur, ce sont là de tes jeux !
Cependant attirés par son brillant plumage,
Moineaux de l’entourer, de vanter son corsage ;
On se groupe autour du poltron.
Dans des touffes de fleurs, de fruits et de feuillage,
Souvent l’artiste oppose au bronze du marron,
Le vermeil de l’orange, ou l’or vif du citron ;
Au milieu des moineaux, tel est mon personnage.
Mais tout-à-coup quels sons confus !
Quel est donc ce vacarme ?
Le groupe se resserre, on sonne au loin l’alarme ;
Moineaux d’un grand danger seroient-ils prévenus ?
L’ennemi paroit-il en arme ?
Deux brigands en fourrure, animaux sans pitié,
Des malheureux oiseaux destructeurs sanguinaires,
Rodillard et minet, vrai couple de corsaires,
Ont paru : de leurs plans on peut être effrayé.
Tantôt, à petits pas, se glissant sous l’ombrage,
Ils roulent sourdement un œil brûlant d’ardeur ;
Et tantôt en arrêt, déguisant leur fureur
Sous le plus fin patelinage,
On diroit qu’aux oiseaux ils souhaitent bonheur.
Quoiqu’il en soit, leurs tours de vieille guerre,
Ne sont qu’eau claire
Pour moineaux, gente experte, accoutumée au cas.
On voit venir nos maîtres chats ,
On vous les mène à la lisière,
Se jouant autour d’eux, voltigeant, sautillant,
On les laisse approcher; même une folle audace
Et les défie, et les agace.
Minet se coule, il cache griffe et dent ;
Mais au plus léger bond, au premier pas perfide
Une aile vigoureuse, assurée, intrépide,
A mis en sureté le groupe pétulant :
La flèche échappe moins rapide.
Ah ! qu’il est loin de leur talent
Le malheureux serf de volière,
Et que peut son vol indolent ?
Moineaux ont beau crier : gare, fuyez donc frère
C’est le frêle insecte volant
Qui tombe dans les rets d’arachné filandière.
Minet, de joie étincelant,
Le voit, l’atteint, l’immole à sa dent meurtrière.
La scène eut pour témoin un sage observateur ;
De gazons rassemblés, sa main forme une tombe ;
A l’ombre d’un saule pleureur,
Il y grave le fait, puis ces mots : l’un succombe
Ou sans peine l’autre est vainqueur.
Le faible craint le sort, et le héros le brave :
Précepteurs des humains, sachez former le cœur,
Et n’attendez rien de l’esclave.
*Licence poétique, voir Hist Littré.
“La Liberté par Bassenge”