Célénie Lailler Douillon
Poètesse – fabuliste XIXº – La Lionne et le Loup
Un Loup qui, je ne sais comment,
Avait pris quatre jeunes chèvres,
Une brebis et deux lièvres,
Se trouvait dans un grand tourment.
Il désirait garder pour lui seul sa richesse,
Car de beaucoup d’humains il avait la faiblesse.
Non, son but n’était pas de faire des heureux ;
Mais il voulait passer pour un Loup généreux.
Et de Sa Majesté madame la Lionne,
Qui l’avait hébergé sous son toit protecteur,
Et parfois satisfait sa nature gloutonne,
Il se savait le débiteur.
De plus, étant sa voisine,
Elle avait dû le voir rapporter son butin,
En cheminant à la sourdine,
Avant les clartés du matin.
Ce Loup va trouver son amie ;
Puis, avec un semblant d’exquise bonhomie,
Il lui dit : — Je vous dois beaucoup,
Je le reconnais, quoique Loup,
Et j’en rougis, malgré mes vices ;
Mais je vais payer les services
Que vous m’avez rendus.
— Je ne vous les ai pas vendus,
Répondit aussitôt la Lionne vexée,
Et qui du scélérat devinait la pensée,
Laquelle, dis-je, était de garder tout pour lui,
Après avoir été sur les crochets d’autrui.
— Vers vous, c’est le devoir, madame, qui m’amène,
Reprit le rusé vaurien.
Allons, dites-moi, sans gêne,
Ce que voulez de mon bien.
— Gredin fieffé, je n’en veux rien,
Répondit-elle en se haussant d’une aune.
Je suis sans pitance à mon tour,
Mais j’aime mieux perdre le jour
Que de te demander l’aumône.
Lorsque tu voudras me nourrir,
Sans blesser ma délicatesse,
J’accepterai de ta richesse
La part que ton cœur seul t’aura dit de m’offrir.
Quand nous voulons donner sans froisser la pudeur
D’une personne délicate,
Ne l’interrogeons pas et cherchons dans son cœur
Le nom de l’objet qui la flatte.
Dire : — J’ai des trésors, combien en voulez-vous ?
Faux généreux, bon apôtre,
Cela soit dit entre nous,
C’est offrir d’une main et retenir de l’autre.
Les dons noblement faits ont toujours des appas :
Mais donnez sans bassesse, ou bien ne donnez pas.
Célénie Lailler Douillon