Jeune et leste, une loutre, animal amphibie,
Prit un jour la fantaisie
De voyager.
Ce beau désir lui vint des récits de voyages
Que lui firent l’hiver certains canards sauvages.
Dans les terres pourtant n’osant trop s’engager,
Aux lieux voisins elle borna sa ronde ;
Le tour d’un bois devint son tour du monde,
Et sans doute elle crut l’achever sans danger.
Hélas ! par une meute elle fut éventée,
Et bientôt à grand bruit par les chiens dépistée.
Elle eut, malgré son courage et ses dents,
Passé de bien tristes moments,
Sans un renard qui, venant derrière elle,
Vit son angoisse mortelle,
Et d’un cœur hospitalier
La fit entrer dans son terrier.
Trop animés, les chiens passèrent outre,
Et manquèrent ainsi le renard et la loutre.
Celle-ci de tout son cœur
Remercia son bienfaiteur ;
Et dès le soir, reposée et tranquille,
Elle revint à l’eau, gagna son domicile,
Et s’y couchant en rond sur le côté,
Elle eut toute la nuit le sommeil agité.
Le lendemain, quoique ce fût dimanche,
Chasseurs et chiens voulurent leur revanche ;
Et cette fois,
Maître renard, qui rôdait dans les bois,
Se fit chasser pendant une heure.
Il crut après cent tours rentrer dans sa demeure ;
Un chasseur gardait le trou.
Il tira ; mais le feu ne brûla que l’amorce.
Le renard eut grand’peur, et ce lui fut bien force
De prendre, comme on dit, ses jambes à son cou,
Et de s’enfuir sans savoir où.
Pour son bonheur il vint vers la rivière,
Où notre loutre, à pas de douairière,
Se promenait. « A moi ! lui cria-t-il ;
C’est votre tour. Ma sœur, tirez-moi du péril.
La meute est sur ma piste ; une meute maudite ;
Et la rivière arrête ici ma fuite. »
— « Vite à l’eau, dit la loutre ; en nageant quelque peu,
Nous gagnerons ma chambre ;
Cent meutes ne pourraient vous trouver en tel lieu. »
— « Qui ? moi, dit le renard, me mouiller en décembre…
Mon pauvre corps de sueur est tout mat ;
Je nage mal et crains l’eau comme un chat.
C’est fait de moi ; je vois bien qu’il faut boire,
Hélas ! dans l’onde noire.
Pour vous, ma sœur, fuyez et sauvez votre peau. »
Sans répliquer, la loutre, bien et beau.
Des dents lui prend la queue et dans l’onde l’entraîne.
Elle arriva sans trop de peine ;
Et vers son trou le renard remorqué,
De cet asile sûr ne fut pas débusqué.
Vive un ami comme la loutre ;
C’est lui dans un danger qui vous fait passer outre.
Êtes-vous roi, c’est lui qui d’un peuple brutal
Brave l’émeute et vous met à cheval ;
Car il sait bien qu’un roi dont le peuple est rebelle
Ne vient à bout de rien que le cul sur la selle.
“La Loutre et le Renard”