Le bon Jupin voulant gratifier
La race humaine sa servante,
Par Mercure fit publier
Une ample lotterie, en tous biens abondante.
Tout billet étoit noir ; chacun devoit gagner,
Point de sixième à prendre sur l’Espèce
Les premiers lots étoient les plaisirs, la richesse,
Les honneurs, le droit de régner.
Le gros lot étoit la sagesse.
Le plus grand nombre, et les moins bien traités,
De l’espérance au moins devoient être dotés.
Quant au prix des billets, c’étoit des sacrifices ;
Les autels étoient les bureaux.
Jupiter reçut tout, chèvres, moutons, génisses,
Pigeons, jusques à des gâteaux,
Et moins encor, car le dieu favorable,
Aimant les hommes comme siens,
Ne voulut pas que le plus misérable
Demeurât exclus de ses biens.
J’oubliois qu’il voulut permettre
À quelques-uns des dieux d’y mettre.
Bien-tôt la lotterie est pleine ; il faut tirer.
Tous les billets sont jettés dans une urne,
Broüillés et rebroüillés. Puis, le fils de Saturne,
C’est donc au sort à se montrer,
Dit-il ; je veux que ce soit lui qui tire ;
Aveugle il est hors de soupçon.
Le sort tire en effet. Mercure a soin d’écrire
À chaque fois et le lot et le nom.
De l’urne à millions sortent les espérances ;
C’étoit toujours cela. Puis de meilleures chances
Faisoient paroître quelquefois
Des amans fortunés, des riches, et des rois.
Le gros lot vient enfin : on nomme la sagesse.
Pour qui ? Numéro tant, et Minerve pour nom.
Soudain entre les dieux fanfares, allégresse ;
Chez l’homme au contraire tristesse,
Murmure, injurieux soupçon.
Que voilà bien un trait de père de famille !
Dit tout le genre humain fâché.
Jupiter fait tomber le gros lot à sa fille !
Bon, cela saute aux yeux, Jupiter a triché.
Pour punir et calmer cette insolence impie,
Quel moyen croyez-vous que Jupin inventa ?
Au lieu de la sagesse, il donna la folie
À l’homme qui s’en contenta.
On ne se plaignit plus, et depuis ce partage
Le plus fou se crut le plus sage.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, La Lotterie de Jupiter.