Charles-Guillaume Sourdille de la Valette
Écrivain, poète et fabuliste XVIIIº – La marmite prêtée
Dans un village musulman,
Hussein de son voisin Osman
Avait emprunté la marmite.
Il la rapporte avec une autre très petite :
« La vôtre hier, dit-il, chez moi fit cet enfant ;
« La mère étant à vous, à vous est sa famille.
» Je ne dois pas garder la fille, »
La probité me le défend.
« — C’est bien », répond Osman, surpris de l’aventure.
Mais séduit par l’appât du gain ; »
Vous m’assurez que le fait est certain ;
» Il suffit : en douter serait vous faire injure.
» Notre homme était ravi : deux pour une ! Le prêt
Donnait un honnête intérêt.
Huit jours passés, autre visite :
Hussein demande encor la fameuse marmite
Qui chez lui devint mère une première fois.
Osman la lui prêta sans peine,
Dans l’espoir de la même aubaine,
« semaine se passe, et puis deux, et puis trois ;
Enfin Osman, au bout du mois,
« trouver son voisin : « Ma marmite, compère ? »
Hussein répond : « Je ne l’ai plus hélas !…
» Cher Osman, elle est morte, et morte entra mes bras.
» c’est le commun destin des choses de la terre :
» Seul Allah vit toujours, quand tout meurt ici bas.
» De sa perte, voisin, plus que vous je suis triste. »
Le préteur vainement insiste.
Dit qu’on se raille, et conduit à la fin
Chez le cadi l’infidèle voisin.
De la marmite ayant ouï l’histoire,
Le magistrat prononce : « Osman, vous avez tort :
» A sa maternité si vous avez pu croire,
» Vous pouvez bien croire à sa mort. »
L’avidité rarement est sincère :
Sans scrupule elle nie, et sans scrupule admet.
Forçant la raison à se taire
Sitôt qu’à parlé l’intérêt.
Charles-Guillaume Sourdille de la Valette, La marmite prêtée