La mouche à la fourmi disait un certain jour :
Hélas ! que je vous plains, ma chère,
De ramper ainsi sur la terre !
Souvent l’aurore, à 6on retour,
Vous trouve au même point où vous étiez la veille;
En vérité, pour vous ma pitié se réveille.
Sans douceur comme sans plaisir,
Toujours au sein de la monotonie,
Soir et matin, aller, venir
Par le même sentier, Dieux ! quelle triste vie.
Mais moi lorsque je veux, dans les plaines de l’air
Je m’élance, et bien loin de vous et de la terre ;
Sans crainte aux yeux de Jupiter,
Je m’assieds à sa table, ou dors sur son tonnerre.
D’un sacrifice offert aux immortels,
Ma part est toujours la première;
Et lorsque chacun tremble, aux pieds de leurs autels,
Moi bravant leur vaine colère,
Parmi des flots d’encens, je monte vers les cieux
Et ravis le nectar dans la coupe des dieux.
Voyez quelle est mon importance,
Et combien une mouche est au-dessus de vous !
Tout chemin m’est ouvert, deux élémens jaloux
Semblent se disputer l’honneur de ma présence.
Dans l’Afrique autrefois, je battis un lion ;
Il s’en fallut bien peu qu’il n’allât chez Pluton.
Si du moins vous pouviez quitter votre tanière,
J’adoucirais votre misère.
Nous irions visiter le Louvre quelquefois,
Je vous introduirais dans les palais des rois,
Et je corrigerais les torts de la fortune.
Quels torts, dit la fourmi ? mais pour les corriger
Vous-même qu’êtes-vous ? parasite importune,
Que sais-je encore : vous cherchez le danger!
Pour moi prudemment je l’évite,
Et sans vouloir ici faire assaut de mérite,
Je pense que le grand Jupin
Me fit bien plus qu’à vous, part d’un heureux destin.
Sans approcher des dieux, sans vous porter envie,
D’un cours toujours égal, je vois s’enfuir la vie.
Et je crois que mou heureux sort
Vaut bien le vôtre au moins; mais avant d’être au port
Redoutez un fatal orage ;
La mer où vous courez a vu plus d’un naufrage.
Dame mouche à l’instant,
S’envole en fredonnant;
D’invisibles filets l’attendaient au passage ,
Elle y tombe, et descend au funeste rivage.
(La Mouche et la Fourmi) – M. Polidor M…. Almanach des muses – 1826