Raymond de Belfeuil
Par une nuit d’hiver, certaine grande dame
Rentra du bal en sa maison.
« Ah ! l’épouvantable saison !
S’écria-t-elle, sur mon âme !
Je suis morte de froid ! Jasmin ! vite, du bois !
J’ai besoin de voir de la flamme.
Les pauvres, par ce temps, doivent être aux abois.
Sans feu !… Quelle rigueur extrême !
Oh ! je veux dès demain les soulager moi-même :
Vous leur ferez porter la moitié de mon bois !
Pendant qu’il gèle à pierre fendre,
Il les faut assister : d’ailleurs, c’est un devoir ! »
Dit-elle en contemplant ses traits dans un miroir.
Quand le feu commençait à prendre,
Elle reprit : « Le comte a raison de prétendre
Que le rose me sied aussi bien que le noir…
Que cette flamme est douce et saine !
Non, Jasmin ; ce n’est pas la peine,
N’envoyez point de bois, le temps s’est radouci…
J’ai chaud maintenant, Dieu merci !.. »
Je trouve juste qu’on se raille
De ce monarque généreux,
Qui, s’il déjeunait bien, croyait son peuple heureux.
Ma grande dame et lui sont de la même taille.
Ils se fussent fort bien entendus tous les deux.
Pour compatir à la souffrance,
Il faut avoir souffert longtemps sans espérance ;
Autrement le bien qu’on promet,
Demeure à l’état de projet.
“La Nuit d’hiver et la Grande dame”
Raymond Belfeuil – Paris 1869.