Au sortir d’une des villa
Où la fashion se déshonore,
D’opulents libertins, tout étourdis encore
Par les libations d’un orgieux gala,
Se vautraient bruyamment dans leur molle berline
Roulant vers la ville voisine.
C’est que là la débauche en jupe de satin
Les attend gorge nue et la coupe à la main.
Et brûlant d’atteindre au plus vite
Ce plaisir qui les sollicite
De son fascinateur regard,
A tout hasard
Ils s’étaient engagés dans un sentier rapide,
Étroit et périlleux,
Où de fringants coursiers courant à toute bride
Faisaient bondir leur char sur le sol rocailleux.
En les voyant ainsi s’élancer à leur perte,
En vain chacun leur criait-il : Alerte,
Imprudents ! rebroussez chemin ;
Celui que vous suivez mène droit aux abîmes :
Un gouffre avide de victimes,
Au bas de cette pente, au fond de ce ravin,
Vous attend la gueule béante !…
Mais dans leur course échevelée, ardente,
Aux avis qui se font ricochet,
Ils ripostent bientôt par le rire et l’outrage,
Et, — les vapeurs du vin leur montant au visage, —
Ils écartent à coups de fouet
Tous ceux qui, les voyant redoubler de vitesse,
Se pressent sur leurs pas en signe de détresse.
— Quelques instants après périssait, corps et biens,
L’équipage princier de ces fiévreux vauriens :
Le gouffre dans ses flots engloutit leur ivresse.
Combien de gouvernants, ivres d’ambition,
Lancés à fond de train sur la pente fatale,
Répondent par l’insulte et la compression
À la grande voix sociale.
“La Pente fatale”, Joseph Déjacque, 1821 – 1864