Seigneur don Tristan le Hibou,
Fatigué de vivre en ermite,
Voulut à la perdrix rendre un matin visite;
Non sans peine il quitta son trou.
C’est dans un champ de blé que gîtait la donzelle.
« Ah! vous voilà! compère, lui dit-elle;
A cet insigne honneur on ne s’attendait pas.
Voulez-vous partager mon champêtre repas?
J’ai justement dans ma réserve
Quelques tas de vieux mil et des épis bien mûrs.
— Madame, grand merci, que le ciel vous conserve!
Mais ces repas de grains me sont fades et durs;
Et votre lourd soleil me pèse.
Venez chez moi, vous y serez à l’aise :
Je vous invite pour demain. »
En partant, le long du chemin
Il pestait contre sa voisine,
Disant : ” La maudite cuisine!
N’importe, je veux lui donner,
Sans rancune, un meilleur dîner. »
Il rumina longtemps le menu dans sa tête;
Et, dans un tronc d’arbre pourri,
Lugubre et solitaire abri,
Il fit tous les apprêts d’une pompeuse fête.
La perdrix, dès l’abord, trouva l’antre un peu noir :
” Hé! mon voisin, à l’ordinaire,
Où mettez-vous le luminaire?…
Vraiment votre festin est difficile à voir.
— Eh mais ! dit le hibou, j’y vois clair sous ma tente,
Mettez-vous près de moi; prenez quelque repos;
Voici de bon gibier dont le parfum nous tente :
Deux souris, trois gros rats, quatre petits crapauds;
J’espère qu’on sera contente? ”
L’autre sans souper repartit :
Elle avait perdu l’appétit.
Un héron, qui péchait par là sa nourriture,
S’égaya fort de l’aventure.
« Restons, dit-il, chacun chez nous;
Gardons modestement nos goûts,
Ne critiquons pas ceux des autres,
On saura respecter les nôtres. »
“La Perdrix et le Hiboux”