Un tigre, voulant prendre femme,
S’humanisa, dit-on, si bien,
Qu’il perdit cet instinct infâme
Qui faisait que sa griffe, en ne respectant rien,
Se plongeait dans le sang d’innocentes victimes,
Et qu’on pouvait compter tous ses jours par des crimes.
Comme aux dames rien ne déplait
Autant que l’odeur du carnage,
Il se fit pour le mariage
Aussi doux qu’un agneau qui tête encor son lait.
Pour avoir des façons gentilles,
Il prit un précepteur, et souhaita savoir
Tout ce qui plaît aux jeunes tilles,
Se fit lire Aristote, et Plutarque, et Caton,
Bref, tous les sages de la Grèce,
En quatre mois changea d’allures et de ton,
Et fit si bien qu’enfin sa mère la tigresse
Ne l’eût pas reconnu, tant il mettait de soin
A dompter sa nature odieuse et cruelle !
II ne mangeait plus que du foin
Et buvait aux ruisseaux, ainsi qu’une gazelle.
Aussitôt qu’il se crut façonné pour l’amour,
Il se mit en campagne, et vint frapper un jour
Vers le solitaire repaire
D’un certain renard, heureux père
D’une jeune renarde, adorable minois,
Perdu pour tout le monde au milieu des grands bois,
Et qui, sage, jolie, était une merveille
De grâce et de finesse à nulle autre pareille.
Notre beau jouvenceau, qui s’était préparé
Au rôle séduisant d’un galant personnage
Qui flaire le marivaudage,
Fut fort surpris qu’à peine entré,
La belle, à son aspect de peur toute tremblant
S’en allât se blottir dans un coin ténébreux
Pour ne pas voir cet amoureux :
D’où vous vient donc tant d’épouvante ?
Fit alors celui-ci de son ton le plus doux :
Ah ! pour qui donc me prenez-vous ?
C’est sans doute quelque perfide
Qui m’a calomnié. Je suis doux et timide,
Presqu’autant que j’étais scélérat et rusé.
Mais un démon souvent peut devenir un ange ;
Bref, je suis devenu d’une douceur étrange,
Et l’éducation m’a métamorphosé.
— Vraiment ! dit la fillette avec un malin rire :
Je vous fais bien mon compliment ;
Mais votre beau savoir et votre changement
N’auront pas l’art de me séduire.
Allez ! vous vous abusez bien,
Si vous pensez paraître un autre personnage :
Car, quoi que vous fassiez, en vous je vois l’ancien,
L’assassin, l’étrangleur, le cruel, dont la rage
Faisait trembler les gens. Votre aspect, malgré moi,
En mon âme toujours viendra jeter l’effroi :
Car d’une brebis égarée,
Qui paissait l’herbe tendre en un pré plein de fleurs,
Sous mes yeux autrefois vous fîtes la curée.
Allez chercher fortune ailleurs !
Une conduite mal famée
Ne peut s’oublier aisément.
Prenons garde à la renommée :
La mauvaise surtout vit éternellement !
“La première impression,”