Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Livre 12 – La Querelle des chiens et des chats…
La Querelle des chiens et des chats, et celle des chats et des souris.
La Discorde a toujours régné dans l’Univers ;
Notre monde en fournit mille exemples divers :
Chez nous cette Déesse a plus d’un Tributaire.
Commençons par les Éléments :
Vous serez étonnés de voir qu’à tous moments
Ils seront appointés contraire.
Outre ces quatre potentats,
Combien d’êtres de tous états
Se font une guerre éternelle !
Autrefois un logis plein de Chiens et de Chats,
Par cent Arrêts rendus en forme solennelle,
Vit terminer tous leurs débats.
Le Maître ayant réglé leurs emplois, leurs Repas,
Et menacé du fouet quiconque aurait querelle,
Ces animaux vivaient entr’eux comme cousins.
Cette union si douce, et presque fraternelle,
Edifiait tous les voisins.
Enfin elle cessa. Quelque plat de potage,
Quelque os par préférence à quelqu’un d’eux donné,
Fit que l’autre parti s’en vint tout forcené
Représenter un tel outrage.
J’ai vu des chroniqueurs attribuer le cas
Aux passe-droits qu’avait une chienne en gésine.
Quoi qu’il en soit, cet altercas
Mit en combustion la salle et la cuisine ;
Chacun se déclara pour son Chat, pour son Chien.
On fit un Règlement dont les Chats se plaignirent,
Et tout le quartier étourdirent.
Leur Avocat disait qu’il fallait bel et bien
Recourir aux Arrêts. En vain ils les cherchèrent.
Dans un coin où d’abord leurs Agents les cachèrent,
Les Souris enfin les mangèrent.
Autre procès nouveau : Le peuple Souriquois
En pâtit. Maint vieux Chat, fin, subtil, et narquois,
Et d’ailleurs en voulant à toute cette race,
Les guetta, les prit, fit main basse
Le Maître du logis ne s’en trouva que mieux.
J’en reviens à mon dire. On ne voit, sous les Cieux
Nul animal, nul être, aucune Créature,
Qui n’ait son opposé : c’est la loi de Nature.
D’en chercher la raison, ce sont soins superflus.
Dieu fit bien ce qu’il fit, et je n’en sais pas plus.
Ce que je sais, c’est qu’aux grosses paroles
On en vient sur un rien, plus des trois quarts du temps.
Humains, il vous faudrait encore à soixante ans
Renvoyer chez les Barbacoles.
Analyses de Chamfort
V. 10. Autrefois un logis plein de chiens et de chats. . .
C’est ici que cette vieillesse se montre encore davantage. Quel sens peut-on tirer de cette fable ? quelle était l’idée de La Fontaine ? On est fâché de dire que c’est une espèce de radotage. Quel rapport y a-t-il entre une querelle de chiens et de chats, et le combat des éléments , dont il résulte une harmonie qu’on ne peut concevoir , et dont le fabuliste ne parle pas ?.
Commentaires et études de MNS Guillon
(1) appointés contraire. Terme ds barreau qu’il fallait laisser à cet antres de la chicane, où la langue est aussi souvent violée que la justice.
(2) Potentats, Métaphore hardie qui ne sied au style de l’apologue, que parce que tout sied a La Fontaine.
(3) Une Chienne en gésine. Nous avons déjà vu ce mot : une
chienne étant une gésine. ( Fable, la Lise et sa Compagne) « Truies en leur gésint ne sont nourries que de fleurs d’oranger». (Pantagr. Liv. IV. ch. 7.)
(4) Altercas on altercat, comme appointé contraire.
(5) Narquois, expliqué par ses accessoire s. ” Ce bonhomme fut apperçu par un grand dégousté narquois “. ( Touches de Sieur Des Accords t L. I. Escraign. 37.)
(6) Dieu fit bien eu qu’il fit. Fable 4 du LiV. IX, le Gland et
la Citrouille :
Dieu fait bien ce qu’il fait. Voyez la note.
(7) Barbacoles. “Terme plaisant et burlesque, emprunté des Italiens , pour designer un maître d’école qui, pour se rendre plus vénérable à ses écoliers, porte une longue barbe, barbam colit “. (Coste.) Champfort ne voit dans cette fable qu’une espèce de radotage” ( T. II. p. 348; )’ Est-ce dans ces termes que le satyrique parle de la vieillesse d’Homère et de ses moments de sommeil ?