La Folie, autrefois, eut avec la Raison
Une grande querelle :
Elle était, disait-elle,
Fille d’un dieu, fille de Cupidon,
Et voulait, par droit de naissance,
Sur sa rivale avoir la préséance.
La Raison contestait cette prétention,
Qu’elle trouvait pleine d’impertinence.
Le grand conseil des dieux fut saisi du débat.
Et, vu son importance,
En personne Jupin présida la séance.
La Raison prend pour avocat
Minerve, et la Folie,
Sur le conseil du vieux Cornus,
Sans hésiter confie
Sa défense à Vénus.
De part et d’autre on fait assaut de rhétorique
On plaide et l’on replaide, on reproduit sans fin
Les mêmes arguments, c’est l’habitude ! Enfin,
Après mainte et mainte réplique
(Dans l’Olympe comme au palais,
Hommes ou dieux, les avocats jamais
N’en ont fini de plaider leurs procès ! ),
Jupin clôt les débats; puis, dans l’aréopage.
On passe aux voix : les plus jeunes des dieux
Votent pour Vénus ; les plus vieux,
Ils étaient, je suppose.
Les plus nombreux.
Adjugent gain de cause
A Minerve; sur quoi la cour rendit arrêt
Qui proclamait
Le droit à la Raison de marcher la première,
Et condamnait aux dépens l’adversaire.
Mais Jupin à peine achevait
De lire la sentence.
Que, sans égard pour l’auguste présence
Des juges, la Folie, arrachant ses grelots.
Sa marotte et ses oripeaux.
Tempête, proteste et s’écrie
Qu’elle se moque des arrêts,
Et que jamais,
A sa plus cruelle ennemie,
Elle n’entend céder le pas ;
Plutôt qu’un tel affront, mieux vaudrait le trépas !
Elle avait, on le voit, l’humeur un peu fougueuse,
Et ne respectait pas le temple de Thémis ;
Mais elle était femme et plaideuse.
Pardonnons-lui sa fureur et ses cris !
D’ailleurs, pour calmer sa colère,
La reine de Cythère
(C’était un avocat très-retors en affaire)
Lui dit : « Pourquoi pleurer si fort?
» L’arrêt, tout bien pesé, loin de te faire tort,
» Te donne le moyen de gagner la partie :
» Il t’oblige à marcher, ma mie,
» Derrière la Raison : eh ! tant mieux : tu pourras,
» Sans qu’elle s’en défie,
» Jeter bas
» Toute œuvre par elle accomplie,
» Et partout effacer la trace de ses pas ! »
A ces mots, la Folie, heureuse et consolée
Par la pensée
D’avoir à chaque instant
Un moyen sûr de venger son offense,
Se promit d’en user sans nul ménagement
Et l’on sait, par expérience,
Avec quel soin et quelle conscience
Elle tient son serment !
Adrien-Théodore Benoît-Champy