« André-Clément-Victorin Bressier
La Satire à l’air brusque, à la marche égarée,
Et la Fable au regard doux ensemble et malin,
Comme en un jour de fête élégamment parée,
Se rencontrèrent un matin.
Qui t’amène en ces lieux, ma sœur et ma rivale ?
Dit la Satire, avec un rire goguenard ;
En prédicateur de morale
Viens-tu, comme jadis, transformer la cigale,
Jean lapin, sire loup, ou compère renard ?
Avec ta parole mielleuse,
Et ta douce épigramme effleurant les travers,
Tu n’es plus bonne à rien, ma pauvre radoteuse ;
Je punis mieux que toi les sots et les pervers.
Jusque dans les palais mes rimes énergiques
Font pénétrer la vérité ;
Mais sans nul ornement, dans toute sa beauté,
Sous des voiles allégoriques
Pourquoi la déguiser ? dis, sommes-nous encor
Au siècle où des tyrans muselaient des esclaves,
Lorsque arrêtée en son essor
La pensée avait des entraves ?
La faiblesse inventa ces vils ménagements,
Et l’on ne connaît plus de tels déguisements.
Aujourd’hui le public dédaigne
De tes récits l’art compassé ;
Il m’a remis le fouet de Némésis, mon règne
De tout son éclat brille, et le tien est passé.
— Oh ! quel sévère arrêt votre bouche prononce !
Dit la Fable en riant ; mais daignez écouter
Ce que je vais vous raconter ;
Ce sera ma seule réponse.
L’autre soir, je courais les champs ;
Sortis d’un bois voisin des voleurs m’arrêtèrent,
Et de tous mes habits (tant ils étaient méchants !)
Les scélérats me dépouillèrent.
Dans cet état de nudité,
Ma sœur, je disparus, et soudain à ma place
On vit l’auguste Vérité
Dont le regard altier et la sévérité
De ces lâches brigands confondirent l’audace.
« Déesse, dirent-ils par la crainte interdits,
Qui pourrait soutenir la vue
De la Vérité toute nue ?
Daignez reprendre vos habits. »
« La Satire et la Fable »