Les flancs d’un roc, de neige surmonté ,
Sortait une source orgueilleuse.
Je suis, disait-elle , honteuse.
De mon excessive bonté ;
Ce ruisseau me doit la naissance,
Je l’entretiens, je le nourris ,
Et, de sa part, jamais je n’entendis
Un seul mot de reconnaissance ;
Bien au contraire , nuit et jour ,
A mes côtés, je l’entends qui murmure ;
Ah ! si c’est là, dame, nature,
Comme on reconnaît mon amour,
Reprend tes eaux, je t’en conjure.
Le ruisseau, pendant ce discours,
Tout bas, avec un air de modestie ,
Disait : je suis chétif, mais je coule toujours ,
Et sans mes eaux , je le parie , !
Ce fleuve , si fier en son cours,
Serait à sec la moitié de sa vie.
Lors élevant la voix, du milieu des roseaux,
Je crois ouïr quelqu’un, dit le fleuve en colère ,
De ses plaintes frapper mes eaux !
Je lui conseille de se taire :
Ah ! j’ai, vraiment, bien autre chose à faire
Que d’écouter de vains propos ;
Ne faut-il pas que j’arrête mes flots
Pour disputer ? la belle affaire !
L’Océan, pendant ce tems-la,
Que deviendrait-il, je vous prie ?
Juste ciel ! presqu’à sec je l’apperçois déjà,
Et je l’entends, qui me supplie
De me hâter : j’y cours : un instant : m’y voila.
L’Océan ne se doutait guère
Qu’un fleuve de moins ou de plus,
Lui fut tellement nécessaire,
Qu’avec ou sans lui le reflux
Ne se fit comme à l’ordinaire.
Qu’ils sont heureux, disait-il, ces ruisseaux
Et ces fleuves et ces fontaines
De m’avoir pour fournir leurs eaux !
Je ne compte pour rien mes peines;
Mais les nuages, par centaines,
Ne puisent-ils pas dans mes flots
L’aliment des milliers de veines
Dont se nourrissent leurs canaux ?
En parlant de cette manière
Nos raisonneurs , comme beaucoup de gens,
Oubliaient la cause première
Dont ils ne sont que les agens.
“La Source, le Ruisseau, le Fleuve et l’Océan”