Djami ou Djamy
Poète Perse et fabuliste moyen-âge – La Tortue et le Scorpion
Un Scorpion muni de son venin naturel, l’aiguillon funeste caché dans sois carquois, entreprit un voyage. Arrivé sur les bords d’un large fleuve, il fallut s’arrêter là ; quoiqu’il lui fût impossible d’avancer, il ne voulait point cependant retourner sur ses pas. Une officieuse Tortue, témoin de son embarras, eut pitié du triste voyageur. Elle le fit monter sur son dos ; s’étant mise dans l’eau, elle nageait tranquillement les yeux fixés sur l’autre bord. Tout à coup un bruit frappa son oreille, il semblait que le Scorpion lançait quelque chose sur sa coquille. Elle demanda : « Qu’est-ce que l’on entend ? » « Rien, dit l’animal venimeux ; c’est le bruit de mon dard que je lance contre ta coquille. Je sais combien cet effort est inutile, mais que veux-tu ? Mon naturel l’emporte. » Notre amphibie au dos de pierre, dit alors en elle-même : Certes, je ne saurais faire une plus belle œuvre que de délivrer ce traître de ses funestes habitudes, et de mettre les bons à l’abri de ses méchancetés. Aussitôt elle plongea et les flots entraînèrent son perfide compagnon. Il fut porté dans des endroits où personne dit-on, n’avait été avant lui.
Tout protégé qui, dans ce séjour de crimes et de discordes, se rend coupable à chaque instant de quelques fourberies, doit être submergé dans l’abime de la destruction ; c’est le plus sûr moyen de corriger ses criminelles inclinations et de purger la société.
Djami, La Tortue et le Scorpion