La plus fameuse des Tortues,
Celle qui, bravant les hasards,
Fut, autrefois, par deux canards
Enlevée au milieu des nues,
Et qui sembla tomber exprès du haut des cieux
Pour l’effroi des ambitieux,
Vous le dirai-je? elle était mère ;
Elle avait une fille, à la tête légère,
Qui voulut, comme elle, à tout prix,
Abandonner son trou, Voir les lointains payé,
Vivre enfin en terre étrangère.
Avant de quitter le logis,
Elle se dit : Ma mère était folle, sans doute,
Quand des airs elle prit la route ;
Une chimère l’abusait.
J’avais prévu sa fin tragique,
Et chacun la lui prédisait.
Avec moins de danger, allons en Amérique.
Ulysse, qui connut tant de peuples divers,
Voyagea sur les eaux, et non pas dans les airs.
Voyageons comme Ulysse ; et, sur le dos de l’onde,
Parcourons la machine ronde.
Là-dessus, du fleuve voisin,
A pas comptés, elle prend le chemin.
Une planche flottait sur le bord.
Ah ! ,dit-elle, Neptune me l’envoie.
Elle y monte; et la belle,
Avec courage, va suivant
La rapidité du courant
Sur cette fragile nacelle.
Au bout d’un certain temps elle veut s’arrêter,
Croyant être aux bornes du monde.
Vain espoir ! comment résister
Au courant qui poussait sa barque vagabonde?
Il lui fallut, à jeun, naviguer jour et nuit,
Regrettant vainement son paisible réduit.
A force de voguer, triste, désespérée,
Elle voit le bord même échapper à ses yeux.
Dans le vaste Océan elle fait son entrée ,
Et n’aperçoit bientôt que les flots et les cieux.
Pour apaiser sa faim elle invoque Neptune.
Hélas ! Neptune est sourd à son cri déchirant.
La malheureuse meurt, et dit en expirant :
J’ai mérité mon infortune.
Je péris au milieu des mers ;
Mais mon trépas est mon ouvrage.
Victime du même travers,
Ma mère, expirant dans les airs,
Aurait dû me rendre plus sage.
“La Tortue”