Jean-Stanislas Andrieux
Avocat, poète et fabuliste XVIII° – La Vérité et la Fraude
De Prométhée , habile statuaire ,
Le grand talent dans la fable est cité ;
Il fit Pandore ; il la forma pour plaire ;
Mais par malheur, cette rare beauté
Brouilla bientôt le ciel avec la terre :
Nous payons cher sa curiosité.
Un autre jour , d’une main prompte et sûre ,
Notre sculpteur modèle une figure
Pleine d’attraits : c’était la Vérité ,
Naïve et nue , et cependant modeste.
Il achevait cet ouvrage charmant,
Lorsque la voix du messager céleste
Près de Jupin l’appelle au firmament.
Il part soudain ; sa main négligemment
Laisse tomber l’argile qui lui reste.
Le maître absent. un élève indiscret
Veut de son art surprendre le secret
Le voilà donc qui ramasse l’argile ,
Et s’étudie à copier en tout
La Vérité ; la tâche est difficile.
Par ses efforts il en vient presqu’à bout
L’ouvrage avance au gré du téméraire.
Il s’applaudit ; un pied lui reste à faire :
L’argile manque ; il ne peut achever.
A son retour , reconnaissant la ruse ,
Le maître rit, et sa bonté l’excuse.
« On ne pouvait, dit-il , imiter mieux;
« Cette copie à mon œuvre ressemble;
« Et de ce feu dérobé dans les cieux
« Vous m’allez voir les animer ensemble. »
En les touchant, il n’a dit qu’un seul mot ;
La Vérité vit et marche aussitôt;
Mais sa copie est quelque peu boiteuse ;
Son pied mal fait la rend toute honteuse.
Le nom de Fraude à l’ouvrage incomplet
Fut imposé par le fils de Japet ;
Et de là vient que dans toute rencontre
Ferme et debout la Vérité se montre ,
Mais que toujours , avant son faible endroit,
La Fraude cloche , et ne peut marcher droit.
La Vérité et la Fraude
François Andrieux – 1759 – 1833