On dit que chez l’homme autrefois,
La vérité voulut établir sa demeure,
Elle quitte les cieux, fend l’air, et veut sur l’heure
Essayer du palais des rois ;
Du meilleur prince elle fait choix,
Va droit à lui, l’on trouve à dire,
Que sans autre façon elle osât lui parler.
Je viens pour régler votre empire ;
Mais, dit-elle, avant tout, c’est vous qu’il faut régler
Je veux de vos défauts… quoi ! Des défauts, s’écrie
Un courtisan : ils sont bien inconnus !
Oüi des défauts ; souffrir la flatterie,
Et d’un : de celui-là mille autres sont venus.
Taisez-vous flatteurs ; et vous, sire,
Écoûtez-moi, je vous vois assiéger
Par cent brigueurs d’emplois, qui n’y pouroient suffire ;
Orguëil pour tout talent : n’allez pas en charger
Ces importuns ; mais cherchez le mérite ;
Il se cache, et pour lui, c’est moi qui sollicite,
Tels et tels ignorez sont vos meilleurs sujets ;
Voilà vos gens d’état ; placez là vos bienfaits.
Ainsi, de tout le bien qu’exerceront les autres,
Vous pouvez mériter le prix,
Au lieu qu’en employant d’indignes favoris
Leurs crimes deviennent les vôtres,
En voilà bien pour une fois,
Sire, mais pardonnez, j’ai hâte de vous rendre
Le parfait modelle des rois.
Tout ira bien ; vous n’avez qu’à m’entendre.
Confus de ces libres leçons,
Le prince ne fit pas grand accuëil à la dame,
Les courtisans daubés lui chantèrent sa game ;
Allez ailleurs débiter vos chansons :
Ici la vérité de rien ne nous importe ;
Sortez, voilà votre chemin,
On la chasse, et depuis, la hallebarde en main,
Flaterie a gardé la porte.
La pauvre vérité cherchant à se loger
De chez le bourgeois même est encore éconduite
Par dame politesse, et fut enfin réduite,
À la cabane d’un berger.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, La Vérité.