Un homme avait un chien si modeste et si sage
Qu’il était admiré de tout le voisinage.
Outre le don de la fidélité
Par où le chien sur l’homme a l’avantage,
On le vantait surtout pour sa sobriété,
Vertu qu’on trouve peu chez la race canine.
Jamais, au grand jamais, laissé dans la cuisine
Seul, à jeun, pressé par la faim,
Il n’avait dérobé même un morceau de pain.
Son maître en était fier. Or, un jour qu’à sa table
D’assez nombreux voisins se trouvaient réunis,
Il paria que trois jours et trois nuits
Médor, tel est le nom du héros de ma fable,
Bien enfermé sous clef dans l’arrière logis,
Subirait de la faim le tourment redoutable,
Plutôt que de toucher à deux poulets rôtis,
Qu’on placerait à sa portée.
La gageure étant acceptée
Et les enjeux donnés et pris,
Le vertueux Médor à l’épreuve est soumis.
Le premier jour sa contenance
Est noble et digne : Il ne fait pas un pas
Pour s’approprier le repas.
Le second, il s’approche et flaire la pitance.
L’odeur lui monte au nez ; néanmoins il tient bon.
Et résiste en héros à la tentation.
Le troisième, il aboie afin qu’on le délivre
Du supplice où le met le plus sot des paris.
Personne ne venant, il se décide à vivre,
Et dévore os et chair les deux poulets rôtis.
“La Vertu à l’épreuve”