La vigne un jour disait, en butte aux noirs autans :
« Hélas ! hier encor, j’ornais ces lieux charmants.
« J’y voyais avec complaisance
« Courir, en serpentant, mes rameaux tortueux ;
« De leur sinueuse élégance
« J’aimais à contempler les jeux.
« Aujourd’hui faible et défleurie,
« Je rampe où je régnais. A ma beauté flétrie
« Faut-il déjà survivre ; et sans gloire, aux passants
« Conter par mes débris les outrages des vents !
« Que dis-je ! heureuse encor, si leur souffle funeste
« Me laissait le peu qui me reste !
« Mais je l’espère en vain. Ô sort capricieux !
« Moi qui toujours fidèle, au bout de chaque année,
« Enrichis les humains d’un fruit délicieux,
« Moi le plus doux présent des dieux,
« Aux fiers tyrans des airs je meurs abandonnée ;
« Tandis que ce chêne orgueilleux
« Foule un sol nourricier de son poids inutile,
« Brave l’effort des ans, entre ses bras noueux
« Entend mugir en vain les aquilons fougueux,
« Et, balançant dans l’air sa majesté stérile,
« De sa fierté tranquille
« Semble insulter la nue et menacer les cieux.
« Ah ! si d’un mur voisin, d’une tige étrangère,
« Le charitable appui s’offrait à ma misère ;
« Obscure hôtesse, au moins, de ces riants coteaux,
« Je ne mourrais pas toute entière.
« Un jour même peut-être, âmes pampres nouveaux
« Le joyeux vendangeur pourrait sourire encore,
« Et, la serpe à la main, chanter la douce aurore
« Sous mes raisins vermeils, espoir de ses tonneaux. »
L’arbuste ainsi, courbant la tête,
Déplorait son triste destin ;
Et, cependant, sifflait sans fin
L’impitoyable tempête.
Un souffle encore, et le frêle arbrisseau
Allait du Styx border les noirs rivages.
Mais de la vigne en pleurs le sort touche un ormeau,
Roi touffu de ces parages.
Tempête eut tort enfin, grâce à l’orme attendri.
« Non, tu ne mourras point, j’en jure par Cybèle,
« Dit-il ; contre les vents et leur rage cruelle
« Mon sein te servira d’abri.
« Que tes bras languissants, de leur dernier feuillage,
« Enlacent mon tronc vigoureux :
« Unis d’un doux hymen, nous braverons l’orage,
« Ou nous périrons tous les deux. »
Il dit ; et l’humble vigne en grimpant se marie
Au jeune ormeau, noble support :
Le soleil brille, et l’aquilon s’endort ;
La plante moribonde est déjà raffermie.
A son tour voyez-la, superbe et refleurie,
S’élancer dans les airs avec l’arbre invaincu :
Sa verdure, à l’entour, en festons se replie ;
Et son fruit pare, en grappes suspendu,
Le tronc hospitalier qui la rend à la vie.
Un bienfait n’est jamais perdu.
“La Vigne et l’Ormeau”
- Jean-Nicolas-Marie Deguerle – 1766 – 1824