Le tonnerre grondait au fond de l’horizon,
Et sur l’aile de l’aquilon
Se hâtait d’arriver le plus terrible orage :
Une morne terreur préparait son passage.
C’est un bienfait des dieux : à cet avis muet
Qui parcourt la nature entière,
Le voyageur presse un pas inquiet ;
L’homme des champs regagne sa chaumière,
Et l’hôte des forêts son asile secret.
Tout fuyait ; un agneau resta seul dans la plaine :
Le berger avait fui tout comme le troupeau.
Loin du bercail, sans abri, fort en peine,
Que deviendra le pauvre agneau ?
Car l’aquilon, déjà redoublant son haleine,
Fait voler quelques gouttes d’eau,
Que suivront des torrents qui couvriront la plaine ;
Et contre un torrent qui l’entraîne
Que peut donc faire un pauvre agneau ?
Par hasard, un buisson faisait là sa demeure.
Eh quoi ! dit-il, faut-il que l’agneau pleure
Quand je suis près de lui ? les buissons de tout temps
Ne furent-ils donc pas les amis de vos gens ?
Viens, pauvre agneau, mets-toi sous mon feuillage ;
Il est épais, on n’y craint pas l’orage.
L’agneau le crut : et comment soupçonner
Qu’on accueille les gens pour les mieux écorcher ?
Il était encor trop honnête.
Quoi qu’il en soit, la pauvre bête
Sentit l’épine s’accrocher
A sa laine par trop fournie ;
Son cœur alors sentit la perfidie.
Mais quand de cet asile il voulut s’arracher,
Ce fut alors une autre affaire :
Il y laissa sa toison tout entière,
Et même, dit-on, un lambeau
De sa peau.
Pour les plaideurs cette fable est très claire ;
Aux gens de loi je pourrais la conter :
Mais la leçon est si vulgaire
Qu’on ne vaudrait plus l’écouter.
Protéger est fort beau, mais écorcher rapporte ;
Cela suffit à bien des gens :
Les rois même n’ont pas maxime d’autre sorte
Quand ils ont soutenu des princes moins puissants.
“l’agneau et le buisson”