Le Hibou vit un jour l’oiseau de Jupiter
D’un vol hardi franchir les nues ;
Et là, les ailes étendues,
Regardant le soleil d’un œil tranquille et fier.
Le Hibou court à lui : Seigneur l’Aigle, de grâce,
Dit-il, menez-moi dans les cieux.
Je voudrais, comme vous, contempler face-à-face
Cet astre éblouissant dont vous bravez les feux.
Mon aile est courte, et ma vue un peu basse ;
Plus près de ses rayons je n’en verrai que mieux.
Cela vous est aisé. Vous portez le tonnerre ;
Je ne vous serai pas un si pesant fardeau.
Volontiers, lui dit l’Aigle. Et le royal oiseau
Le prend dans sa robuste serre,
L’enlève, et vous l’emporte en des lieux inconnus,
Loin des limites de la terre.
Ils s’en vont, et déjà Phébus
Commençait à darder certaines étincelles
Qui font crier le Hibou. Ce n’est rien,
Dit l’Aigle. Mettez-vous à l’ombre de mes ailes.
Avançons, et tenez-vous bien.
Vous allez voir le soleil dans sa gloire,
Armé de ses feux triomphants.
Vous en pourrez conter l’histoire,
Un jour, à messieurs vos enfants.
C’était l’heure où cet astre, au haut de sa carrière,
Entouré de flamme et d’éclairs,
Versait des torrents de lumière
Dans le vide embrasé des airs.
De son globe enflammé les gerbes jaillissantes
Sur nos deux voyageurs descendaient à grands flots,
Faisaient étinceler leurs plumes ondoyantes
Et perçaient l’oiseau d’Atropos.
Celui-ci n’y tient pas. La clarté qui l’inonde
L’aveugle ; il brûle, il transit tour-à-tour.
Tout près de la source du jour,
L’animal croit errer dans une nuit profonde.
Otez-moi d’ici, cher ami,
S’écriait-il ; ces feux vont me réduire en poudre.
N’auriez-vous pas lâché la foudre ?
Mes membres sont déjà consumés à demi.
Le roi des airs y consent, non sans rire.
De la voûte des cieux nos oiseaux descendus,
L’Aigle pose en son trou le misérable sire,
Repentant, aveugle et perclus.
Craignez un sort semblable, ô mortel téméraire,
Qui d’un funeste orgueil écoutez le conseil.
Jouissez des clartés éparses sur la terre,
Et n’allez pas puiser au foyer du soleil.
Croyez-moi, trop de lumière
Blesse nos faibles yeux et trouble la raison.
L’insensé la veut tout entière ;
Au sage il suffit d’un rayon.
“L’Aigle et le Hibou”