Un Aigle valétudinaire,
Ennuyé de languir tristement dans une aire
Assise sur des monts couronnés de frimas,
Cherchoit, pour sa santé, de moins âpres climats.
Il s’abattit enfin dans un vallon fertile,
Où s’offrit à ses yeux un énorme reptile.
Cadmus même à sa vue aurait pâli d’horreur.
L’Aigle, que rien n’étonne, aborde de grand cœur
Le Serpent tout confus de cette courtoisie.
Le monarque emplumé veut savoir quelle vie
Mène, et depuis quel temps, un tel hôte en ces lieux :
« Car la douce moiteur de l’air qu’on y respire,
» Et votre embonpoint merveilleux,
» Semblent me garantir, beau sire,
» Qu’ici vos jours ont coulé sans soucis.
» Les miens, avant le temps flétris,
» Ont de la royauté senti les amertumes,
» Et de tous mes combats si j’emportai le prix,
» Souvent j’y laissai de mes plumes. »
« Pour moi, dit le Serpent, à l’abri des hasards,
» D’un adversaire égal sans braver les regards,
» Un plein succès répond aux moyens que j’emploie
» Pour attirer, séduire, et fasciner ma proie.
» Chassez de la sorte, et bientôt… »
« — Monstre hideux, chacun son lot.
» Tu végètes content dans cette ignominie :
» Mieux vaut pour moi la mort qu’une pareille vie. »
“L’Aigle et le Serpent”