Un aigle, fatigué de couver dans son aire,
S’avisa d’inviter un jour
Les chantres ailés d’alentour,
Pour essayer de se distraire.
Le rossignol se présenta.
On loua sa voix, il chanta
Sans se mêler d’aucune affaire ;
Et la linotte sa commère,
En peu de mots qu’elle ajusta,
Offrit ses soins et sut se taire.
Le merle, le pinson parurent à leur tour
(Il faut de tout dans sa cour).
Le merle d’un ton de surprise,
Dit : Avec certains mets qu’en ce coin j’aperçois,
Dont l’odorat se formalise,
Ni mon camarade ni moi
Nous ne ferions pas chère exquise.
Ce mot ne tomba point ; on nota la sottise,
Et chacun retourna chez soi.
Le pinson, tête sans cervelle,
Dit au sortir, affectant un air fin :
Ah ! nous l’avons échappé belle ;
Mais il faut par bonheur être ou chevreuil ou daim
Pour aiguiser la grosse faim
De notre majesté femelle.
Quelqu’un redit ce propos :
Tout sert pour qui cherche à nuire,
Et les grands qu’on veut séduire
Trouvent partout des échos.
Il n’est sur leur tarif nulle légère offense ;
Hors chez ceux qu’aux dieux même égale la clémence :
Aussi vit-on bientôt après
Les plumes des deux indiscrets
Sous les serres de l’aigle annoncer la vengeance.
Vivre près des rois est un sort
Dangereux pour le sot, fâcheux pour le sincère ;
Y voir trop clair est même un tort,
Et l’on doit être, pour leur plaire,
Aveugle quand on entre et muet quand on sort.
“L’Aigle, le Merle et le Pinson”