L’aiguille et l’Épingle, dit-on,
Toutes deux sur un peloton
Disputoient de leur excellence.
Eh ! d’où vous vient, ma mie, une telle insolence ?
Disoit l’Aiguille. Vous ! vous perdez la raison
De vouloir avec moi faire comparaison.
Sommes-nous donc en même passe ?
Tous les jours, pour marquer combien
Chose que l’on dédaigne est méprisable et basse,
Une Épingle, dit-on, vaux mieux ; et l’on dit bien.
Peut-être encor vous fait-on grâce
De vous mettre au-dessus de rien.
Pouvez-vous sans rougir, ou sans mourir de honte,
Voir les ouvrages que je fais ?
Voyons les vôtres, ça, montrez, qu’on les confronte
Avec mes plus foibles essais ;
Considérez ces points si fins et si parfaits,
Dont le prix, en tout temps, très-haut tous les jours monte,
Et dont tous vos efforts n’approcheront jamais :
N’est-ce donc rien à votre compte ?
Les princesses pourtant qui brillent sous le dais
Doivent à ces secours leur plus noble parure.
Quelque agrément que sur leurs traits
Ait pu répandre la nature,
Si l’on ne voit briller mon art dans leur coiffure,
On sait ce que souvent en perdent leurs attraits.
Il m’en coûte, il est vrai, des veilles et des peines ;
Mais, quand je n’en pourrois tirer d’autre profit,
C’est pour des princesses, des reines
Que je travaille, et cela me suffit.
Que dis-je ? l’on a vu des reines, des princesses
S’occuper de moi seule, et se faire un honneur,
En me prêtant leur main, d’ennoblir mon labeur.
La plus sage enfin des déesses,
Pallas qui, comme on sait, préside à mes travaux,
Témoigne assez ce que je vaux,
Et vous osez encor, petite fainéante,
Contester avec moi, trancher de l’importante ?…
L’Epingle, interrompant, lui répondit : Tout doux,
Avec vos princesses, vos reines
Qui partageoient jadis vos veilles et vos peines,
A quel temps nous rappelez-vous ?
Au temps de la reine Gillette ?
De vous peut-être alors on faisoit quelque cas.
Ce temps n’est plus, en vain chez vous on le regrette,
Les dames d’aujourd’hui ne vous connoissent pas.
Vous êtes, je l’avoue, une habile ouvrière,
Et vous savez former des traits fort délicats ;
Mais ce n’est aujourd’hui que quelque chambrière
Qui vous prête sa main pour diriger vos pas.
A la toilette on fait honneur à vos ouvrages :
C’est un bonnet piqué, c’est du marli, du point,
Ils y sont bien venus, emportent les suffrages ;
Mais gardez d’y paroître, on ne vous y veut point.
Vos ouvrages reçus, on vous laisse à la porte :
C’est comme on doit traiter les gens de votre sorte.
Une Aiguille ! hé ! fi donc ? quelle dame, aujourd’hui,
Ne se tiendroit déshonorée,
Si chez elle jamais on vous voyoit fourrée !
Nulle ne veut de vous, pas même en un étui.
Quant à nous, pauvres fainéantes,
Ainsi du moins nous le reprochez-vous,
Les princesses et les infantes
Ne sauroient se passer de nous.
A toute heure, en tous lieux d’usage,
Elles-mêmes à nous placer
Daignent souvent s’intéresser,
Et mettent la main à l’ouvrage.
A coté du miroir mises commodément,
Nous présidons, durant toute la matinée,
A la coiffure, à tout l’ajustement.
Une heure quelquefois s’y passe indolemment
A décider de notre destinée,
Sur le plus ou moins d’agrément.
Pour le reste de la journée,
Ou l’on nous porte en ville galamment,
Ou sur une pelote et riche et chamarrée,
A l’abri d’un brocard, dont avec dignité
La superbe toilette est alors entourée,
Comme dames de qualité,
Nous passons toute la soirée
Dans une noble oisiveté,
Tandis que vous, au haut d’un quatrième étage,
Où vous tenez votre ignoble ménage,
Pour gagner votre pain, l’on vous fait sans quartier
Courir, trotter sur le métier.
Mais, sans contester davantage,
Que chacune de nous s’en tienne à son partage ;
Allez, ma bonne amie, avec votre Pallas,
Comme une petite soubrette,
Coudre et briller au galetas,
Voilà pourquoi vous êtes faite.
Mais, pour nous qui tenons rang de dames d’atour,
Et que le sort destine à briller au grand jour,
Laissez-nous, s’il vous plaît, gouverner la toilette.
L’Épingle, dira-t-on, s’en fait accroire un peu ;
Mais il faut avouer la dette,
Dans notre siècle elle a beau jeu.
“L’Aiguille et l’Épingle”