Alexis Rousset
Poète et fabuliste XVIIIº – L’Amour qui se déguise
L’Amour jadis avait blessé
Un cœur naïf et trop sensible.
Après l’avoir séduit, il l’avait délaissé.
Ainsi fait bien souvent ce petit dieu terrible :
Il se pare de mille fleurs,
On l’accueille aujourd’hui, demain naîtront les pleurs.
Fille des cités, sa victime,
Avec un cœur où gronde un courroux légitime,
Vint cacher aux champs ses douleurs.
Le dieu se repentit ; le cas est assez rare.
Il résolut de consoler
Le triste objet d’un jeu barbare.
Il se rend donc un jour, non sans un peu trembler.
Au logis de la jeune fille.
-Qui frappe ainsi ?-C’est moi. -Qui, moi ?-C’est l’Amitié.
Je connais vos chagrins et j’en ai grand’ pitié.
Veuillez donc ouvrir cette grille. —
Mais le malheur rend soupçonneux ;
Et, regardant de tous ses yeux,
On reconnaît l’Amour à son malin sourire,
A son arc, à son air plein d’astuce et de miel.
— Vous, l’Amitié? D’après vos œuvres, dieu cruel!
C’est la Haine qu’il faudrait dire.
Alexis Rousset , L’Amour qui se déguise