Fables de l’Académie des jeux floraux
Par M. Coignet, Bibliothécaire de la ville de Saint-Chamond (Loire).
Sic vos non vobis
Rarement l’inventeur recueille le salaire
Que son œuvre aurait mérité.
Heureux encore, heureux, (honteuse vérité!)
Si son bienfait n’excite une aveugle colère.
Chacun sait qui planta la vigne le premier;
A vrai dire, il en eut d’abord le bénéfice.
Mais qui donc enseigna, plus tard, à la tailler ?
L’histoire n’en a pas donné le moindre indice.
Or, voici ce qu’on m’a conté :
La Vigne, au temps jadis, croissait à l’aventure,
Et perdait, faute de culture,
Un tiers de sa fécondité.
En rameaux vagabonds, en feuillage inutile
Chaque plant s’épuisait en vain,
Et plus gracieux que fertile,
Donnait toujours beaucoup… d’ombrage, et peu de vin.
La chose allait ainsi quand, par hasard, un Ane,
Rassasié de ses chardons,
Vint porter une dent profane
Sur un cep qui déjà se parait de bourgeons,
Il tailla largement. L’Homme accourt et se venge,
Maudissant les écornifleurs ,
De la dîme qu’il croit levée à sa vendange.
La Vigne de son mieux proteste par des pleurs.
Sans se plaindre, accablé sous les coups d’étrivières
Qui pleuvent sur son dos dru comme argent comptant,
Façonné dès longtemps à ces rudes manières,
Le pauvre Âne au logis revient clopin-clopant.
“L’Ane et la Vigne”
Recueil de l’Académie des jeux floraux – 1849