Christian Satgé
Fabuliste contemporain – Édito – L’Arbre qui cache la forêt
Christian Satgé, Professeur d’Histoire & de Géographie à Poueyferré dans les Hautes-Pyrénées…
Blog de l’auteur : Les rivages du Rimage
– Fables sur ce site
L’Arbre qui cache la forêt
Si l’on excepte le chêne chenu, jadis un peu gland, qui rivalisa de verve et de morgue avec le roseau assez pensant pour plaire à Pascal – et il était aussi balèse que mais Blaise celui-là – et ne pas mériter ipso facto quelque coup de joncs ou autre volée de bois vert, peu d’arbres hantent les Fables de nos maîtres qui n’ont guère de moindres défauts… L’arbre, bois tendre ou dur de la feuille, prompt à animer tous les foyers, sentirait-il le fagot ? À quel bûcher des vanités a-t-on promis ce bellâtre parce qu’il a trop « cheminé » ? Même, cette vieille branche de biblique pommier y fait pâle figure soit-il en quelque sorte un abri côtier. Le fabuliste, même le plus futé, même faisant feu de tout bois, reste donc plutôt de bois face à ces troncs et feuillées, quitte à « ramée », alors que le bois est un hallier privilégié des personnages qu’il a créé, la forêt un cadre brillant ou un décor défendant qui hante bien de ses bonnes feuilles à la sève des plus puissantes. Sinon, bois bandé ou pas, il pourrait prendre quelque teck pas piqué des vers en prétendant s’élever, « lierre de rien », jusqu’aux faîtes d’une philosophie de conteur ! Car ce n’est pas du petit bois que la sagesse de ces petites nouvelles rimées quoi que d’aucuns croient et crient.
Pourtant hêtre ou ne pas hêtre est justement la question que tout facteur d’apologues, bois vert ou « peuplier » par l’âge et mal fagoté. Sa plume, pour le moins « futaie », aussi affûtée que fusain, dessine un monde de bouleaux et de paresse où chacun promet à son prochain, voire à ses proches, châtaignes, marrons et autres raisins de sa colère. Où est le houx quand hiboux, cailloux, choux, bijoux, joujoux, genoux et autres poux sont omniprésents ? Sans jouer les casse-noisettes, pourquoi cette atimie du coudrier ? J’en ai « l’épinette dorsale » toute remuée de ce constat amer qui m’atterre : « figuier-vous », l’arbre est absent des fables par trop à moins d’être tombé au « saule ». « Séquoia » cette histoire de mise à l’écart au sein d’une Nature foisonnante ? Ce serait pêcher que d’en rester là. Planté. Sans rien faire comme aurait dit Jean Racine. Même si ce qui est entrepris paraît à d’aucuns joueurs de hautbois nul à scier ou nous amène quelque embûche.
En ces temps froidureux qui sentent décembre et donc le sapin, j’ai les boules. Et quitte à me faire allumer voire enguirlander, je voudrais qu’on réhabilite les ligneux en nos lignes, que nous envoyions quelque bouée aux noyers même si nous freinent les us de ce temps si peu enclins à protéger les vieux feuillages, « cyprès » soient-ils de noue. Sinon qu’adviendra-t-il de notre travail ? J’en tremble d’effroi même après avoir enfile un pull de plus. À perpétuer cet ostracisme de mauvais aloi, je crains que le charme de nos naturelles bluettes ne se rompe, faute de savoir à quoi les raccrocher, sachant le malaise des mélèzes et les lauriers fanés des oliviers.
M’avez-vous, chers collègues qui comme moi avez la gueule de bois à ce triste constat, ouï et reçu « cep sur cep » ?… Je ne vous demande pas, vieux bois boiteux ou jeunes pousses aux senteurs boisées, de faire le poirier pour nos bois aux abois ou de mettre le doigt entre l’écorce et l’arbre mais d’œuvrer juste à rétablir en sa noble place ces bosquets embusqués riches en buissons creux et fourrés chafourrés, de faire « érable » rase de cette infâme mise au ban des mis en banc ! Soyons des ormes, des vrais, sous nos écorces tannées et prenons ce problèmes à bras le corps comme on embrasse ces gardiens de nos champs et de nos chemins. En nos contes, foin de langue de bois, mangeons de ce pin-là, bois blanc ou exotique, noueux ou pas, pour la plus grande gloire des végétaux qui végètent à nous ombrer car ils pourraient ne nous plus servir que de cercueils ! Croyez m’en, ça en vaut « l’ébène » : ne laissons pas aux bois de lit si peu dormants soient-ils ou de justice la mémoire des cernes de ces écorcés vifs. Ce serait « l’hache » et tout le reste n’est que « sciure » de mouche et bûchettes pour apprendre à conter !
En nous souvenant que « Tant qu’il y a de la sève, l’arbre ne tombe pas », en touchant du bois, je vous quitte d’un « fabuleusement vôtre » de boit-sans soif à jambe de bois reverdie glissé dans ce tronc de nos pauvres oubliés qu’on a lui aussi caché sous le boisseau de nos bois sots !
Fabuleusement vôtre !
Christian Satgé