Henri d’Erville
Écrivain, journaliste et fable XIXº – L’automobile et le Cheval
Voyant la voiture à vapeur
Cheminer sans son assistance,
Le cheval qui d’abord avait peur
Se dit : — pour nous autres quelle chance
« Pendant qu’on se reposera,
Grâce à c’t’invention superbe,
« L’ patron en famill’ s’en ira
« Fair’ ses cours’s ou dîner sur l’herbe.
— Plus de cocher vous exploitant,
« Plus d’ cargot qui vous assassine !
« Sur ce véhicule épatant !
On peut tout fair’ , mêm’ sa cuisine.
« Pendant qu’ Monsieur timonera,
« Allaitant sa dernièr’ petite,
Madam’, gentiment, écum’ra
Son pot-au-feu cosmopolite !
Et l’appareil, cahin-cahan,
S’en allait, vannant sa ferraille
Avec des spasm’s d’ vieux carcan
Que son rhume interne travaille ;
C’ qui n’empêchait pas les badauds,
D’ crier à la foul’ curieuse :
« Attention à votre dos !
« Voici venir la « silencieuse ! »
Quand v’ là qu’avec un patatras
Eclate la damné’ machine.
Projeté sur un tas d’ plâtras
Le Maître se démet l’échine.
Madame, en r’tombant su’ l’pavé,
Ecrase un vieillard sans défense
A qui ça devait arriver.
Vu qu’il était sourd de naissance.
Qui fut penaud ? Ce fut le cheval,
Requis par un sergent de ville,
D’avoir à m’ner à l’hôpital
Les victimes de l’automobile.
Et l’animal plein de raison
Disait : il est bien d’aller vite :
Mais pour que l’ pot-au-feu soit bon,
Faut pas trop chauffer la marmite !
Henry d’Erville